Carte blanche. Le projet de réforme de l’aide médicale urgente (AMU), examiné ce jeudi 15 mars en séance plénière au Parlement fédéral, inquiète les secteurs médical et associatif. La crainte est que l’AMU, actuellement accordée aux patients les plus précarisés, ne soit réduite à une peau de chagrin.
L’Aide médicale urgente (AMU) est une aide sociale de l’État pour les soins médicaux, préventifs ou curatifs, ambulatoires ou hospitaliers, accordée aux personnes indigentes et sans séjour légal. Le caractère urgent de l’aide médicale nécessaire doit être attesté par un médecin. Cette définition est prévue par l’arrêté royal du 12/12/1996 et peut donc être modifiée par le gouvernement en fonction de la politique qu’il entend mener.
Mais ce dont il est question ici est une réforme de la loi créant l’AMU. Le ministre Ducarme la justifie par la nécessité de lutter contre des abus qu’il prouve sur la base de chiffres critiquables (provenant d’un rapport établi par un seul médecin de la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité (CAAMI) et dont l’échantillon d’analyse n’est pas clair).
La définition utilisée par ce médecin dans son rapport utilisé par le ministre Ducarme restreint déjà cette aide aux “soins de santé nécessaires, incontournables, essentiels” “à délivrer rapidement pour éviter une situation médicale à risque pour une personne ou son entourage“. Cette définition n’est pas celle de l’arrêté royal du 12/12/1996 qui précise que l’aide médicale urgente “peut être prestée tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins (et qu’elle) peut couvrir des soins de nature tant préventive que curative”. Les divergences qui sautent aux yeux entre ces deux définitions inquiètent sur les intentions de cette réforme.
Une complexification
Le système actuel devait être réformé pour réduire les tâches administratives des CPAS, éviter les disparités d’aide accordée d’un CPAS à l’autre, et pour améliorer l’accès à cette aide aux plus démunis. En effet, nombreux sont les étrangers en situation de séjour irrégulier qui ne parviennent pas à bénéficier de cette AMU.
La réforme proposée diminue effectivement le travail administratif des CPAS. Par contre, elle complexifie le système de l’AMU, en instaurant le principe d’une procédure de contrôle et de sanction des dispensateurs de soins, par un seul médecin contrôle (!), de la CAAMI. En outre, la loi ne dit rien sur la manière dont les contrôles seront effectués ni sur les critères qui seront utilisés par ce médecin contrôle lorsqu’il vérifiera les attestations AMU que les médecins joignent à leurs factures de soins délivrés à des personnes sans séjour légal. Si le médecin contrôle estime, de manière totalement arbitraire, que les soins en question ne relèvent pas de l’AMU, les médecins et dispensateurs des soins concernés devront rembourser l’argent qui leur aura été payé par l’Etat pour les soins médicaux qu’ils ont prodigués.
Aucune liste de soins admissibles pour l’AMU ne sera élaborée à l’avance : le Ministre considère que la liste se dégagera des contrôles effectués et des sanctions infligées. Ainsi, lorsqu’ils soigneront des personnes sans papiers, les médecins et hôpitaux auront toujours la crainte de devoir rembourser de leur poche ce qui leur a été payé par l’Etat si les soins accordés sont finalement considérés par le médecin contrôle comme ne relevant pas de l’AMU.
Nous nous trouvons donc dans une situation kafkaïenne : un projet de loi qui réforme un droit fondamental sans préciser l’étendue exacte de ce droit, et qui prévoit des contrôles et des sanctions sans préciser les critères et les modalités du contrôle ! Il s’agit en quelque sorte pour le Parlement de signer un chèque en blanc et de laisser au gouvernement toute latitude de le compléter à sa guise au risque qu’il limite l’AMU aux soins “nécessaires, incontournables, essentiels”, avec un contrôle étendu des prestataires de soins.
Éviter le débat démocratique ?
Sous le couvert d’un texte-coquille vide, le gouvernement vise peut-être à modifier lui-même la matière, tout en évitant les débats démocratiques que susciterait inévitablement au Parlement la restriction de l’AMU et des modalités de contrôle.
S’agissant d’un droit fondamental qui touche à la dignité humaine, la définition de l’AMU, en tant qu’intervention dans les soins médicaux tant préventifs que curatifs, devrait être inscrite dans la loi et ne pas être laissée à l’appréciation du gouvernement au gré des politiques menées.
La Ligue des droits de l’homme, Médecins du monde et le CIRÉ exhortent les parlementaires à rejeter ce projet de loi, et, a minima, à l’amender de manière à contenir une définition de l’AMU, des critères précis d’ouverture du droit, une possibilité de recours pour le médecin auquel le remboursement des soins serait refusé et des modalités claires de contrôle.
Sotieta Ngo – Directrice générale du CIRÉ {Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers}
Alexis Deswaef – Président de la Ligue des droits de l’homme
Pierre Verbeeren – Directeur général de Médecins du monde