La drépanocytose est une maladie grave. George Bantuanga en est atteint. Il a quitté le Congo pour avoir accès à un traitement efficace en Belgique. Mais l’obtention d’un titre de séjour pour raisons médicales s’avère bien compliquée. Il bat le rappel afin d’attirer l’attention sur le danger de cette maladie trop peu connue.
La drépanocytose est une maladie peu connue sous nos latitudes. Il s’agit pourtant de la maladie génétique la plus fréquente au monde, si l’on en croit l’Unesco. Chaque année, environ cinq cent mille enfants sont affectés dès leur naissance par cette maladie “grave et invalidante”. 50% d’entre eux mourront avant l’âge de 5 ans. 50 millions d’individus seraient touchés sur la planète. D’ailleurs, les Nations Unies en ont fait une “priorité de santé publique”.
À Bruxelles, il y a George Bantuanga Bakala, qui a quitté la République démocratique du Congo (RDC) en 2008. La drépanocytose, il la connaît sur le bout des doigts. Il en est atteint et préside l’association belge des drépanocytaires.
Un combat contre la maladie qui, dans sa vie, fait office de fil directeur. Il faut dire que la plupart des choix importants qu’il a faits ont été conditionnés par la drépanocytose et la recherche d’un bon traitement. S’il espère qu’un jour l’Office des étrangers le régularisera pour raison médicale, l’enjeu de son plaidoyer dépasse largement son cas personnel. “Je veux mieux faire connaître la maladie et sensibiliser. Rien qu’à Bruxelles, il y a beaucoup de drépanocytaires”, affirme-t-il.
Des traitements inaccessibles au Congo
George Bantuanga tient à décrire ce mal qui circule dans son sang sous la forme d’étranges globules en forme de croissant: “Cette maladie est génétique et héréditaire. En général, les deux parents sont porteurs. Elle s’est surtout adaptée aux pays tropicaux, même si elle est désormais “cosmopolite”. C’est une maladie du sang. Les globules rouges – qui véhiculent l’oxygène dans le corps – sont beaucoup moins nombreux. Ils ont une forme de faucille et créent des bouchons au niveau des vaisseaux sanguins.” Qui dit bouchons dans les veines dit santé défaillante. “Les douleurs sont variées, ajoute George. On peut souffrir de douleurs aux membres ou au thorax. Dans ce dernier cas, il vaut mieux aller tout de suite à l’hôpital.” Autres dégâts associés à la drépanocytose: “des infections et de l’anémie.” La maladie est grave, mais si elle ne peut pas être soignée, on peut la traiter pour atténuer ses symptômes. “Les thérapies conseillées sont l’échange transfusionnel (remplacement d’une grande quantité des globules rouges atteints par des globules sains) ou la prise d’un médicament, l’Hydrea.” Et c’est là que le bât blesse. Selon George, qui a écumé les hôpitaux congolais, ces traitements ne sont pas accessibles au Congo. “Aucun hôpital ne pratique l’échange transfusionnel et l’Hydrea est très rare.” Comme chacun sait, ce qui est rare est cher, surtout sans remboursement des soins. Du coup, il est quasi impossible de se procurer le précieux remède en RDC.
Le médecin affirme que les soins sont disponibles à Kinshasa. Il cite même un hôpital que je connais pourtant bien. Ce qu’il dit est faux et archi-faux, c‘est mensonger.
Le médecin-conseil de l’Office des étrangers (OE), lui, affirme le contraire. George introduit sa première demande de régularisation pour raisons médicales (9ter) en 2010. La décision négative – et hâtive, comme semble le penser George – tombe comme un couperet en octobre 2011. “Le médecin affirme que les soins sont disponibles à Kinshasa. Il cite même un hôpital que je connais pourtant bien. Ce qu’il dit est faux et archi-faux, c’est mensonger. Il ne m’a pas examiné et il n’a pas pris en compte les rapports de deux médecins de l’hôpital Saint-Pierre qui disent que je suis en danger de mort en cas de retour au Congo.”
Le Conseil du contentieux des étrangers (CCE) annule la décision de l’OE en décembre 2011. Mais le médecin-conseil persiste: deuxième décision négative. George n’a pas de mots pour exprimer sa révolte. Il vitupère contre cette décision prise “avec exactement les mêmes arguments”. Finalement, l’Office des étrangers retire la décision négative avant que n’expire le délai d’introduction d’un recours auprès du CCE. George attend désormais que l’OE se prononce une bonne fois pour toute. Selon lui, “le médecin de l’OE connaît la maladie. Il a toutes les informations. À mon avis, il reçoit des injonctions de l’administration. Ce qui est grave car il doit respecter le code de déontologie médicale. Il est censé rendre des avis objectifs.»
“Au Congo, je n’ai fait que survivre”
Le ras-le-bol de George face aux décisions négatives de l’Office des étrangers s’explique aisément. Car la drépanocytose l’accompagne depuis de trop nombreuses années. Né en 1977 à Kinshasa, il découvre sa maladie à son cinquième printemps. “J’avais des douleurs, de la fièvre, de l’anémie, se souvient-il. Mes parents ont réagi immédiatement. Il faut dire qu’ils connaissaient déjà bien la maladie. Ma sœur l’avait et elle en est morte. Toute jeune. À douze ans.” Que la drépanocytose soit diagnostiquée très jeune ne change rien: les soins sont rares au Congo. “Un médecin me suivait, témoigne-t-il. Mais les soins ne sont pas appropriés. Là-bas je n’ai fait que survivre. À certains moments, j’ai reçu des transfusions sanguines… mais pas d’échange transfusionnel. Lors d’une de ces transfusions j’ai contracté une hépatite C post–transfusionnelle.” Les maladies se superposent faute de soins adaptés.
Au Congo, George Bantuanga est régulièrement frappé de douleurs, de crises qui lui font prendre un certain retard dans ses études d’économie. Il finira par décrocher sa licence en 2005. Un diplôme qui ne lui suffit pas pour trouver un emploi. En RDC, règnerait une atmosphère de discrimination à l’encontre des drépanocytaires. George en témoigne: “Certaines personnes stigmatisent les drépanocytaires. Nous sommes considérés comme des gens qui vont mourir demain, qui ne vont pas travailler comme tout le monde.”
Faire reconnaître la gravité de la maladie
Trois ans plus tard, en 2008, George prend la poudre d’escampette. Direction la Belgique. “Un départ lié à la maladie et à l’absence de soins au Congo”, rappelle-t-il. Arrivé avec un visa étudiant, il commence à suivre des cours à l’ULB. Mais son hépatite contractée au Congo implique une thérapie très lourde qui le contraint à abandonner. Son visa arrive à échéance ; c’est ainsi qu’il se décide à introduire une demande de régularisation pour raisons médicales.
Dès qu’il le peut, il parle de cette maladie et met à profit ses talents oratoires et sa connaissance de la drépanocytose, “pour qu’on reconnaisse sa gravité”. Il y a quelques années, il a participé aux états généraux de la drépanocytose à Brazzaville, puis au Congrès de Dakar, prenant son bâton de pèlerin pour sensibiliser toujours plus de personnes, pour demander la généralisation du dépistage de cette maladie. Sa vie quotidienne, il la juge “extrêmement difficile”. Il survit grâce à la solidarité. Mais au niveau médical, il n’y a pas de comparaison: “Grâce au traitement, ça va par rapport au Congo. Il y a des soins appropriés et j’ai droit à la mutuelle, qui les rembourse.” Pour George, l’attente de la décision finale de l’OE est angoissante. “Si on me chasse au Congo, je n’y aurai pas de soins. L’hépatite C s’est ajoutée, il n’y a pas de traitement…”.
Mais George Bantuanga est tenace. Les deux décisions négatives ne l’ont pas fait sombrer. Mieux encore, le retrait de la dernière décision négative a engendré un regain d’optimisme chez lui. Il croit voir dans ce surprenant revirement de l’OE le signe d’une issue positive. “Normalement, s’ils annulent leur propre décision, ils devraient me donner le séjour. J’ai l’espoir que le médecin-conseil respecte le code de déontologie de sa profession et respecte les avis de ses collègues médecins.”