Les migrations ont toujours existé et continueront d’exister. Dans l’intérêt des personnes et des États concernés, il convient de les gérer le moins mal possible. C’est par ces mots que débutait une note rédigée par quatre professeurs en droit des étrangers des différentes universités du pays sur la question de la régularisation des sans-papiers. Cette note décrit avec lucidité les enjeux à court, moyen et long terme en matière de migration, de protection et de régularisation, en expliquant par la même occasion les réponses souvent partielles que la Belgique y apporte.
Absence de droit à l’immigration
“Le droit international comporte un paradoxe en matière de circulation des personnes. Plusieurs textes reconnaissent le droit pour toute personne de quitter n’importe quel pays y compris le sien. En revanche, aucun texte ne reconnaît le droit pour toute personne d’accéder au territoire d’un pays autre que celui de sa nationalité. Il y a en quelque sorte un droit à l’émigration, sans droit à l’immigration. Ce paradoxe s’explique par la souveraineté nationale. Peut-être mérite-t-il d’être interrogé à long terme, mais il est l’état actuel du droit international. En conséquence, l’immigration n’est pas un droit de la personne, mais une faveur accordée par l’État. Sauf exception, lorsque les droits fondamentaux d’une personne sont en cause.”
Protection des droits fondamentaux
“En principe, l’octroi d’une autorisation d’accès au territoire et de court séjour (visa) ou l’octroi d’une autorisation de séjour de longue durée (ASP : autorisation de séjour provisoire, de plus de trois mois) est accordée depuis le pays d’origine du migrant par le poste diplomatique du pays d’accueil. Ce document, visa ou ASP, traduit l’octroi de la faveur de l’immigration.
En termes de flux migratoires, ces droits sont en quelque sorte une fenêtre qui s’ajoute à la porte de l’immigration de faveur (économique, démographique…). En conséquence, lorsque la porte de l’immigration de faveur se ferme, la fenêtre de l’immigration de droit est davantage sollicitée. Dans certaines circonstances, cette faveur devient un droit lorsque son refus conduirait à la violation des droits fondamentaux de la personne. Il y a en quelque sorte un droit à l’émigration, sans droit à l’immigration. Ce paradoxe s’explique par la souveraineté nationale. Deux principales modalités d’immigration concernent cette hypothèse d’un droit: le droit au regroupement familial pour permettre le respect de la vie familiale et le droit des réfugiés, parfois appelé droit d’asile, pour protéger contre des violations graves de droits fondamentaux dans le pays d’origine. Si elle remplit les conditions pour être reconnue membre de la famille ou réfugiée, la personne bénéficiera d’un droit au séjour. Au besoin, le candidat réfugié qui, par hypothèse, fuit son pays d’origine, pourra accéder au territoire sans être muni de l’autorisation préalable qu’est le visa. C’est le principe de non-refoulement. En termes de flux migratoires, ces droits sont en quelque sorte une fenêtre qui s’ajoute à la porte de l’immigration de faveur (économique, démographique…). En conséquence, lorsque la porte de l’immigration de faveur se ferme, la fenêtre de l’immigration de droit est davantage sollicitée.”
“En se centrant sur le droit d’asile, comme protection contre la violation des droits fondamentaux, on peut aujourd’hui, compte tenu de l’évolution du droit international, du droit européen et du droit belge, distinguer trois formes de protection : le statut de réfugié au sens de l’article 1 de la Convention de Genève, la protection subsidiaire qui, selon une directive européenne, permet d’accorder un droit de séjour à des personnes qui ne seraient pas reconnues réfugiées au sens de la Convention de Genève et, enfin, une protection dite temporaire quand il y a un afflux en masse de personnes déplacées suite à une situation de crise en manière telle que l’examen individuel du cas de chacun est impossible.”
La régularisation: une protection “subsidiaire-subsidiaire”
À ces trois types de protection, les auteurs de cette note en ajoutent une quatrième : la protection dite “subsidiaire-subsidiaire” ou la “régularisation”. Celle-ci concerne les personnes qui, pour différents motifs, ne rentreront pas dans une de ces trois protections et refuseront de quitter le territoire. “Ce refus peut reposer sur deux ordres principaux de motifs, distincts ou combinés. D’une part, un détachement du pays d’origine en raison de la persistance de craintes de violations de droits fondamentaux en cas de retour dans le pays d’origine, d’autre part, un attachement au pays d’accueil en raison de la vie sociale qui s’y est développée. Dans certains cas, ce refus de quitter peut être fondé en droit international selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans d’autres cas, ce refus n’est pas fondé en droit. Dans les deux hypothèses, cette protection “subsidiaire-subsidiaire” n’est pas expressément formalisée par la loi. Même dans le premier cas, si elle impose à l’État de ne pas expulser, elle ne lui impose pas d’autoriser le séjour. Sauf à considérer que le refus de séjour est, en soi, un traitement inhumain ou dégradant, l’on repasse ici du droit vers la faveur : c’est la régularisation”.
Les auteurs le rappellent, la question des migrations doit être gérée “le moins mal possible” en cherchant un équilibre entre les intérêts des personnes et ceux des États. Pour eux, des solutions de trois ordres peuvent être envisagées : à long terme, à moyen terme, à court terme.
À long terme: liberté de circulation et statut du travailleur migrant
Outre la coopération vers de meilleurs équilibres mondiaux, ils estiment que deux questions méritent examen à long terme du point de vue du droit.
“Il y a tout d’abord la question de la liberté de circulation. Le paradoxe du droit de sortie sans droit d’entrée mérite examen. Dans une optique libérale, dans un monde où tout circule, ne faut-il pas favoriser davantage la libre circulation des personnes, aujourd’hui conditionnée par une autorisation préalable sous forme de visa ?
Dans une optique libérale, dans un monde où tout circule, ne faut-il pas favoriser davantage la libre circulation des personnes, aujourd’hui conditionnée par une autorisation préalable sous forme de visa ?
Loin d’accroître le risque d’installation, particulièrement dans la clandestinité par crainte d’impossibilité de revenir, la liberté de circulation n’est-elle pas de nature à favoriser les mouvements d’aller-retour plus que la migration ? Il reste que cette perspective de libre circulation, qui existe au niveau régional européen, serait plus facilement acceptable au niveau mondial si les écarts entre nations riches et pauvres étaient moins prononcés”.
Il y a ensuite la question du travailleur migrant. “Tout migrant qui, en droit ou en fait, dispose d’un travail ne doit-il pas être vu comme travailleur et bénéficier d’un statut qui protège ses droits fondamentaux? C’est l’avis de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme. C’est l’objet de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. La ratification de cette convention par la Belgique pourrait être soumise au débat parlementaire”.
À moyen terme: refonte de la loi et Commission de régularisation
“Modifiée à de nombreuses reprises depuis 1980, notamment pour l’adapter à l’évolution européenne, la loi belge du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers n’est plus un instrument efficace. Sur la forme, la loi est devenue illisible, même pour les praticiens en la matière. Sur le fond, elle est, à différents égards, dépassée. L’élaboration d’un véritable code de l’étranger est souhaitable”.
“Indépendamment de la formulation ou non de critères de régularisation (infra), indépendamment de modifications législatives, il restera toujours, entre le droit et la faveur, une série de situations qui devraient être soumises à interprétation. L’administration de l’Office des étrangers est mal outillée pour le faire et est – à tort ou à raison – soupçonnée d’arbitraire. La création d’un organe indépendant permanent, comme une Commission de régularisation, permettrait d’atteindre un double objectif : d’une part, développer l’interprétation objective de critères tout en maintenant un examen au cas par cas, d’autre part, éviter la multiplication des cas en attente qui, de façon récurrente, conduit à des situations de crise”.
À court terme: des critères de régularisation
En ce qui concerne les enjeux à court terme, les quatre professeurs expliquent pourquoi il est important d’avoir un texte qui définit des critères de régularisation. Mais ils rappellent qu’avant l’instruction du 19 juillet 2009, certaines dispositions existaient. “Pour les personnes qui n’entrent ni dans la protection statutaire (réfugié) ni dans la protection subsidiaire, deux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 permettaient une régularisation individuelle.” Premièrement, l’article 9bis de la loi (ancien article 9§3) permet de demander une autorisation de séjour “lors de circonstances exceptionnelles”. Deuxièmement, l’article 9ter de la loi permet de demander une autorisation de séjour pour l’étranger qui “souffre d’une maladie dans un état tel qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine”.
“Si ces deux articles exigent, en principe, que l’étranger “dispose d’un document d’identité”, ils ne précisent pas les critères qui permettent l’octroi de cette régularisation. Des circulaires, tantôt publiées, tantôt confidentielles, ont apporté certaines précisions. Elles ne sont pas toujours appliquées. Cela conduit à l’insécurité et à l’arbitraire”.
Et les auteurs de rappeler qu’à court terme, “l’adoption d’un texte précisant les critères de régularisation énoncés ci-dessus permettrait sans doute de sortir de l’impasse dans laquelle les autorités du pays et les sans-papiers se trouvent : une situation de non-droit qui échappe à tout contrôle.”
Mais, avertissent-ils, “il ne faudrait pas oublier les options qui s’ouvrent à la Belgique, dans le cadre de l’Union européenne, à moyen et à long terme.” Parce que “construire progressivement une politique humaine et réaliste de l’immigration est de l’intérêt de l’État et des personnes et un bon cadre juridique peut y aider”.