20 ans de centres d’accueil

Depuis 20 ans, l’État délègue l’accueil des victimes de la traite des êtres humains à trois associations: Payoke à Anvers, PAG-ASA à Bruxelles, Sürya à Liège. Elles ont initié 175 nouveaux accompagnements de victimes en 2014.

Lotfi1 connaît bien PAG-ASA. “Je suis client“, explique-t-il sans détour et dans un français bancal. Ce jeune Égyptien travaillait et dormait dans un garage de réparation de voitures. “Je ne suis pas payé depuis deux ans…” Victime d’exploitation économique, il s’est présenté au centre.

Les trois asbl fonctionnent quasi de la même façon. Dans un premier temps, elles reçoivent des personnes envoyées par la police ou l’inspection sociale, ou guidées par le bouche-à-oreille, comme Lotfi. Une petite poignée par an arrivera de l’hôpital, après un accident de travail.

Première question à creuser: le cas de traite des êtres humains (TEH) est-il avéré? “En 2013, nous avons enregistré 353 signalements, mais seuls 48 accompagnements ont pu débuter“, précise Sarah De Hovre, directrice de PAG-ASA. “S’il ne s’agit pas de TEH, nous réorientons la personne vers un autre service, par exemple en faveur des femmes battues, d’une aide au logement, ou encore d’un retour volontaire au pays.”

Cet accompagnement offre aux victimes une couverture administrative (permis de séjour et de travail), juridique (contact avec l’avocat, accompagnement au tribunal) et psychosociale qui leur permettra de préparer leur projet d’avenir

Un phénomène très récent est apparu, lié à ceux qui tentent de trouver une solution à leur situation terrible: sans papiers, sans travail, ils se présentent à l’un des centres avec un scénario farfelu. “Nous devons déconstruire leurs histoires car il ne faudrait pas que la procédure disparaisse pour celles et ceux qui sont réellement victimes“, commente Christian Meulders, le directeur de Sürya. Afin de bien saisir l’enjeu, il faut savoir qu’une fois la procédure de protection et d’assistance engagée, la victime reçoit un permis de séjour et de travail, d’abord temporaire puis permanent, ainsi qu’une aide du CPAS de quelque 800 euros par mois.

Triple condition, triple accompagnement

Pour bénéficier d’un accompagnement, la personne doit d’abord accepter de coopérer avec les autorités judiciaires. Elle ne devra pas nécessairement porter plainte, mais une “déclaration pertinente” permettra à la police de démarrer une enquête. Ensuite, la victime devra couper tout lien avec les auteurs présumés de son exploitation. Enfin, elle signera un contrat d’accompagnement avec l’un des centres.

Que prévoit cet accompagnement? En bref, il offre aux victimes une couverture administrative (permis de séjour et de travail), juridique (contact avec l’avocat, accompagnement au tribunal) et psychosociale qui leur permettra de préparer leur projet d’avenir.

Pour les victimes sans logement, les asbl gèrent trois maisons d’accueil d’un total de 52 places, dont l’adresse est gardée secrète. La raison: garantir une sécurité aux locataires et prévenir toutes menaces ou intimidations de la part des criminels présumés. Après maximum 6 mois, la personne prendra son envol, toutefois son accompagnement continuera 2 à 3 ans. “Notre but est de leur donner des outils et des ressources“, résume Christian Meulders. Se débrouiller sans le centre signifie apprendre une langue du pays, chercher du boulot ou commencer une formation, connaître les arcanes de l’administration, des soins de santé. À Liège, Sürya a développé un système de cogestion qui donne des ailes aux bénéficiaires: après 6 mois, ils ont économisé en suffisance pour s’installer durablement à leur compte. “Il ne faut pas oublier que les gens arrivent ici avec une valise et des vêtements, dans le meilleur des cas. Dans le pire, sans rien. Et dans tous les cas, ils ne possèdent jamais de meubles“, décrit Christian Meulders.

Une matière complexe

À côté de leur mission principale d’accompagnement, les centres forment et informent, en particulier ce qu’ils appellent les “acteurs de première ligne”, à savoir ceux qui établissent le premier contact avec les présumées victimes.

En général, les trois asbl ont tissé des relations professionnelles de confiance avec les unités spécialisées, que ce soit dans la police, l’inspection sociale ou la magistrature. Cependant, les services non spécialisés en TEH, maîtrisant moins les procédures, décèlent moins vite les cas de TEH. Sarah De Hovre cite l’exemple d’un service “drogues” de police, berné par les apparences: ainsi des mineurs d’âge vietnamiens pincés au Limbourg n’étaient pas dealers mais bien victimes, forcés de cultiver du cannabis et de le vendre.

Un problème équivalent se pose avec les magistrats de garde, forcément moins au fait des subtilités d’une matière complexe qui croise le droit pénal, social et le droit des étrangers. Sarah De Hovre ajoute: “Quand ils ne sont pas au courant du phénomène, des juges risquent de condamner les criminels pour d’autres faits que la TEH, par exemple pour coups et blessures ou exploitation de la prostitution. Les peines sont alors moins sévères. C’est démotivant pour toute la chaîne qui lutte contre la traite et soutient les victimes“. La meilleure façon de les sensibiliser passe par l’avocat de la victime. Ce qui exige des moyens. Une question brûlante vu la récente diminution de 20% des subsides “Emploi et Égalité des Chances” pour les trois asbl.

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