Visas: l’Europe inacessible

Diallo a dû se rendre à l’évidence: quand on est Africain, obtenir un visa pour venir étudier en Europe est une gageure. Tant pis, il aura recours à un passeur. Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu: au lieu d’un visa étudiant d’un an pour la France, Diallo obtient un faux visa touristique de 3 mois pour la Belgique.

Diallo a mis plusieurs années à préparer son voyage en Europe. “Un vrai parcours du combattant qui a démarré en 2006“, précise-t-il d’emblée. Enseignant en Guinée, marié, père d’une petite fille âgée aujourd’hui de 4 ans, il n’est pas venu en Europe pour fuir la misère mais avec l’espoir d’améliorer son quotidien et celui de toute sa famille. Au départ, il y a la volonté d’étudier en Europe pour accéder à un poste à responsabilité en Guinée. Six ans plus tard, tout ça semble très loin. Les temps changent. Les plans aussi. Aujourd’hui Diallo a signé un “retour volontaire”. Dans quelques semaines, il retrouvera les siens sans avoir étudié. “Si ça s’est passé comme ça, c’est qu’il devait en être ainsi. C’est le destin. J’ai fait une demande d’asile et j’ai passé deux ans en Belgique. Pour rien.

Visa étudiant

Diallo rêvait d’étudier dans une université française. Sa première demande d’acceptation, il l’introduit auprès d’une université à Rouen. Elle est acceptée par l’université, mais l’ambassade de France à Conakry refuse son visa. Quelques mois plus tard, il fait une autre demande: même résultat. Il attend et quand il décide d’introduire une nouvelle demande deux ans plus tard, les conditions ont changé. Face au nombre croissant de demandes de visa étudiant, la France a décidé d’imposer dès 2007 des conditions financières à toute personne qui souhaite étudier en France. Diallo doit rassembler la somme de 6000 euros avant de pouvoir introduire une nouvelle demande. Une somme qu’il mettra plus de deux ans à réunir grâce au soutien de plusieurs personnes et notamment de sa belle-famille. Il introduit donc une nouvelle demande en 2009 auprès d’une autre université française, du côté d’Avignon cette fois. Sa demande est acceptée par l’université, mais sa demande de visa étudiant est une nouvelle fois refusée.

Pour Diallo, la situation est claire. S’il espère un jour venir étudier en Europe, il va falloir forcer le destin. “J’avais l’argent et je savais que si la situation ne se débloquait pas rapidement, ma belle-famille le réclamerait. Il fallait que je sorte du pays au plus vite. Je n’avais plus le choix“. Diallo décide alors de faire appel à un passeur. La tante d’un de ses amis a déjà fait voyager plusieurs personnes en Europe. “Je ne me suis pas posé de questions, je lui ai donné les 6000 euros pour qu’elle trouve une solution.” Au départ, il était question d’un visa étudiant pour la France… ou éventuellement pour la Belgique ou la Suisse. Mais c’est rapidement la douche froide. “Ce n’était pas du tout ce qui avait été prévu. J’ai essayé de renoncer et de récupérer mon argent. Mais elle m’a dit qu’une bonne partie de la somme avait déjà été utilisée et que ce n’était pas possible. C’était à prendre ou à laisser…“, explique Diallo. Au lieu d’un visa étudiant pour la France, c’est finalement un visa touristique de 3 mois pour la Belgique qu’il reçoit.

Bruxelles-National

Diallo a 24 heures pour préparer son départ. Le rendez-vous est fixé le lendemain à l’aéroport international de Conakry. Les 6000 euros versés à son contact lui donnent droit à un faux visa touristique pour la Belgique, un trajet Conakry-Bruxelles accompagné d’un passeur et les 700 euros en liquide à présenter aux douaniers pour prouver qu’il dispose bien des ressources nécessaires pour visiter la Belgique1.

Pour Diallo, les consignes sont claires: suivre son passeur en ayant l’air le plus détendu possible, se mettre dans la file,
le passeur devant et lui derrière.

À son arrivée à l’aéroport, Diallo est présenté à un homme. Originaire de Guinée, cette personne vit aujourd’hui à Bruxelles. C’est elle qui l’accompagnera pendant le voyage et qui l’hébergera à leur arrivée en Belgique. “Ce n’est qu’à Bruxelles que cette personne est devenue plus nerveuse et plus distante. Elle m’a expliqué comment ça allait se passer et m’a dit comment me comporter.” Pour Diallo, les consignes sont claires: suivre son passeur en ayant l’air le plus détendu possible, se mettre dans la file, le passeur devant et lui derrière avec deux bons mètres d’écart, faire comme s’ils ne se connaissent pas, passer le contrôle en répondant aux questions des policiers et, éventuellement, présenter l’argent. Si tout se passe bien, les deux hommes doivent se retrouver après les bagages, un peu avant la sortie. “C’est là que j’ai compris qu’il avait peur d’être à côté de moi. Il était stressé. Ce n’est qu’une fois dehors que le passeur a retrouvé le sourire et s’est détendu. Il a fumé une cigarette et nous sommes montés dans un taxi en direction du centre-ville”.

Au milieu de nulle part

Les deux hommes s’arrêtent dans un restaurant pour prendre un petit-déjeuner. Fatigué par une nuit d’avion et par le froid, Diallo ne fait guère attention. Prétextant un coup de téléphone urgent à donner, le passeur se lève, se dirige vers le bar, règle les repas et fait un signe de la main à Diallo pour lui dire qu’il revient. Diallo ne le sait pas encore mais c’est la dernière fois qu’il aperçoit l’homme avec qui il a voyagé. “J’ai mis du temps à comprendre qu’il ne reviendrait pas. Je suis resté plus de trois heures dans ce restaurant ne sachant trop que faire, se souvient-il avec émotion. J’étais tout seul dans une ville que je ne connaissais pas. J’étais complètement perdu“. Face à l’insistance du serveur lui intimant de prendre une nouvelle consommation ou la porte, il se décide à sortir. Il erre dans les rues pendant plusieurs heures et trouve finalement refuge à la gare du Nord. En novembre 2010, en pleine crise de l’accueil2, la gare est pleine de demandeurs d’asile à la rue. C’est là qu’il croise d’autres Guinéens qui lui expliquent les démarches à accomplir. Le lendemain, il se rend au dispatching de Fedasil pour introduire une demande d’asile.

Sa procédure a duré pratiquement deux ans, période durant laquelle il a multiplié les petits travaux pour rassembler de l’argent et l’envoyer à sa famille. Longtemps, il a cru qu’il allait pouvoir faire la formation pour laquelle il était venu en Europe. Mais les obstacles se sont multipliés et aujourd’hui Diallo est fatigué. Rentrer ne sera pas facile. Surtout après toutes ces années et les 6.000 euros dépensés pour son visa et son passeur. “En embarquant pour Bruxelles avec un faux visa, je savais que ce serait difficile. Mais avec ma volonté et mon dynamisme, je pensais que j’y arriverais. Je me suis trompé.

Notes:
1   (cfr. L’affaire Gladys Hernandez en fin de magazine).
2   Voir migrations|magazine, n°4.
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