Une si pâle commission européenne

Depuis le 1er novembre, l’Europe a officiellement un nouveau Commissaire à l’Immigration et aux Affaires intérieures. C’est la première fois que l’immigration apparaît comme une compétence en soi. Faut-il y voir le signe d’un changement de cap au sein de la Commission?

Le nouveau Commissaire, Dimitris Amavropoulos, est grec. Ancien ministre de la Défense et ancien ministre des Affaires étrangères au sein d’un gouvernement de centre-droit, il a fait plutôt bonne impression lors de son audition par les eurodéputés. Il a martelé que “l’Europe n’est pas une forteresse”, que le contrôle des frontières externes de l’Europe se ferait “dans le respect des droits fondamentaux”. Qu’il renforcerait les moyens financiers de l’agence Frontex et que celle-ci pourrait intégrer une mission de sauvetage en mer des migrants. Mais pas pour tout de suite. Ce serait même dans un avenir plutôt lointain et en collaboration bien sûr avec les États membres. Plus étonnant: le nouveau Commissaire a défendu le projet d’un bureau de conseillers en migration auprès des délégations de l’UE dans les pays tiers. Ils seraient compétents pour l’examen des demandes d’asile présentées sur place. Une proposition “explosive” mais peu réaliste de sous-traitance de l’asile qui fait débat.

Pas de vagues

Un discours pour séduire? Plusieurs députés, appartenant à différents groupes, ont salué son ambition. D’autres sont nettement plus méfiants. C’est aussi le cas des ONG. “C’est un discours dans la continuité de la Commission précédente“, traduit Anneliese Baldaccini, membre de la direction d’Amnesty International pour l’asile et la migration. En “off”, certains nous disent que Dimitris Avramopoulos a été nommé à ce poste parce qu’il ne “fera pas de vagues”. “Il ne veut pas faire de remous. Il sait ce qu’il convient de dire. Il affirme que l’Europe ne doit pas être une forteresse mais quand on l’interroge sur la construction du mur à la frontière turque, décidée par la Grèce, il ne répond pas. Normal, il fait partie de ceux qui ont trouvé que c’était une bonne idée.

La Commission n’a jamais eu un rôle politique actif sur la problématique migratoire. Elle est plutôt dans la posture du compromis à trouver entre les États membres. La Commission est le reflet de l’état politique de l’Europe. Elle n’a aucune vision pour changer les choses.

Mais la personnalité du nouveau Commissaire est-elle vraiment si importante? Non, estime Caroline Intrand, porte-parole de la campagne Frontexit, une campagne qui dénonce les dérives auxquelles donnent lieu les opérations menées par Frontex. “La Commission n’a jamais eu un rôle politique actif sur la problématique migratoire. Elle est plutôt dans la posture du compromis à trouver entre les États membres. La Commission est le reflet de l’état politique de l’Europe. Elle n’a aucune vision pour changer les choses.” Anneliese Baldacini nuance: “La Commission a plus de pouvoir qu’on ne l’imagine. Son rôle est discret. Tout se passe en dialogue avec les États membres. Elle doit faire respecter les législations européennes comme celle de Schengen et cela peut l’amener à traduire certains États devant la Cour européenne de Justice. Mais il faut bien reconnaître que si cela s’est déjà passé pour des dossiers économiques, ce n’est pas le cas pour la politique migratoire.” Amnesty International a déjà écrit au nouveau Commissaire pour dénoncer le projet de loi espagnol autorisant le refoulement des réfugiés dès la frontière de Ceuta et Melilla. “C’est contraire au droit européen. Sa réaction sera un test.

Les regrets de la Commissaire Malström

Il revient à la Commission d’élaborer des directives qui doivent être négociées avec le Parlement européen. Dans les faits, il s’agit souvent d’un laborieux compromis avec le Parlement et le Conseil européen (les États). Dans un contexte où le repli sur soi l’emporte sur les réflexes de solidarité, la marge de manœuvre est étroite. Dans un entretien à la RTBF, fin octobre, Cecilia Malström le reconnaissait. L’ancienne Commissaire aux Affaires intérieures citait des dossiers révélateurs de la frilosité des gouvernements comme celui de la réinstallation des réfugiés syriens où “seuls quelques pays ont réagi”. L’Europe, disait-elle, a besoin d’immigrés “mais il est devenu impossible d’en parler”. Et la progression du nombre de députés europhobes et d’extrême droite ne va pas arranger les choses.

Le paysage politique n’explique pas tout. La Commission a été mise sur la touche lors de l’opération Mos Maiorum, qui ciblait l’immigration illégale mais avait surtout un objectif politique interne: caresser dans le sens du poil les détracteurs de Schengen et ceux qui voudraient réintroduire des contrôles aux frontières internes de l’UE au prétexte que l’Italie ou la Grèce seraient “des passoires”. “C’est une opération menée exclusivement par les membres, reconnaît Cecilia Maström. Je ne sais pas si elle est utile. En tout cas, ce n’est pas la première fois que ce genre d’opération est menée en dehors de la Commission.” Et d’ajouter que si l’objectif reste bien d’élaborer une politique de migration commune, “il faut avoir beaucoup d’optimisme” pour gérer ce dossier au sein de la Commission.

Un pont vers l’Europe

Voilà Dimitris Avramopoulos prévenu. La dernière réunion du Conseil européen du 9 octobre ne laisse d’ailleurs guère d’illusions quant au projet d’une politique européenne qui ne soit pas plus celle de l’Europe forteresse. Exit l’opération Mare Nostrum, menée par l’Italie, qui a tout de même permis de sauver plus de 150 000 migrants perdus en mer. Voici Triton, coordonnée par l’agence Frontex, pour assurer le contrôle des frontières dans la région méditerranéenne. La première coûtait 9 millions d’euros par mois, Triton 2,9. La fin de Mare Nostrum ne s’explique pas pour des seules raisons financières. Certains États membres, dont la Grande-Bretagne, ont fait clairement comprendre qu’ils n’étaient pas disposés à soutenir des opérations de sauvetage en mer, “sécurisant” selon eux les routes vers l’Europe. Triton est un bel exemple de l’immobilisme européen et du rôle limité, voire ambigu, de la Commission. Les ressources humaines et techniques de cette opération dépendent des contributions des États membres. Un mois après son lancement officiel, Frontex constate que ces contributions sont totalement insuffisantes. La Commission a fait un nouvel (et vain) appel à la “solidarité” pour mettre en place Triton tout en dégageant l’UE de toute responsabilité de la décision italienne de mettre fin à l’opération Mare Nostrum.

On est loin encore de l’aspiration à une Commission forte, soucieuse de faire respecter les droits fondamentaux, osant remettre en cause des tabous comme les accords Dublin ou le mandat de Frontex. Malgré l’échec évident de la politique migratoire européenne, ces tabous ont la vie dure.

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