© Florence Aigner

SESO: accompagner les familles autrement

Ce sont surtout des familles qui sont accueillies par SESO, en partenariat avec le CIRÉ et Vluchtelingenwerk Vlaanderen. Elles demandent un suivi social attentif, tout particulièrement au moment où elles obtiennent le statut de réfugié et doivent alors quitter leur logement d’accueil. Entretien avec Sarah Gödert assistante sociale au Service Social de Solidarité Socialiste (SESO)

Comment les personnes vivent-elles cette annonce et cette période de transition? 

Au début, la plupart des personnes n’arrivent pas à croire qu’elles sont vraiment régularisées ou reconnues réfugiées. Il y a des gens qui demandent plusieurs fois de vérifier. Évidemment, il y a une très grande joie, ils parlent de faire la fête, ils sont très soulagés. On leur dit ensuite qu’ils doivent partir dans les deux mois. Et là, les réactions diffèrent. Il y a ceux qui sont très bien intégrés et qui trouvent très rapidement un logement mais c’est vraiment la minorité. Et puis il y a ceux qui, au départ, ne se font pas de souci mais qui réalisent ensuite qu’ils ne sont pas du tout aussi bien intégrés qu’ils le croyaient et sont confrontés au racisme. Pour ces personnes, c’est vraiment un choc de se rendre compte qu’elles ont fait tout ce chemin et qu’elles se sentent enfin intégrées pour être remballées partout en s’entendant dire : “non, on ne prend pas les étrangers”. La joie d’être reconnu est donc de courte durée. Très rapidement, l’angoisse et la pression prennent le dessus. Dès le premier entretien, la plupart des gens ressentent la menace de se retrouver à la rue.

Et vous, comment vivez-vous cette période? Cet accompagnement “à la sortie” a-t-il un impact sur le contenu et la qualité de votre travail? 

Oui, ça a vraiment un impact important sur notre charge de travail. On est déjà fort occupés par l’accompagnement “classique” des familles et par le travail administratif, qui a augmenté ces derniers temps. On n’a donc pas suffisamment de temps à consacrer à la recherche de logement. Pour l’instant, par exemple, j’ai quatre familles qui doivent quitter la structure d’accueil. Si je consacre deux heures par semaine et par famille à la recherche de logement, ça représente une journée entière de travail. Or comme j’ai 35 à 40 dossiers au total, je ne peux pas investir autant de temps pour ces quatre familles. Cette situation est à la fois frustrante pour moi et difficile pour les gens.

En tant qu’assistante sociale, on a l’habitude de jouer un rôle d’intermédiaire entre différentes instances. Mais, dans ce contexte particulier, on a beaucoup de pression venant de différents côtés : des familles, de SESO, des “coupoles” [CIRÉ et VWV] et de FEDASIL. On a aussi une double casquette : d’un côté, on apporte de l’écoute et du soutien aux gens et, de l’autre, on est obligé de leur mettre la pression. On doit les contrôler, leur demander : “Est-ce que vous cherchez vraiment? Ramenez-moi les preuves”. C’est un rôle schizophrène qui est désagréable pour moi et pour les familles.

Il ne faut pas oublier que ce sont des personnes – en particulier les réfugiés reconnus – qui ont vécu des événements très douloureux dans leur pays. Il y en a beaucoup qui ont des syndromes post-traumatiques et qui craquent face à ce stress.
Enfin, comme tout se passe maintenant dans l’urgence – dès qu’ils ont trouvé un logement, les gens sont dehors – on n’a plus le temps de les préparer à des questions pratiques comme la mutuelle, la recherche d’une nouvelle école… Toutes ces choses passent complètement à la trappe. Les gens sont encore plus vulnérables. La transmission de leur dossier au CPAS est également précipitée et on essaie de les informer de leurs droits, parce que le CPAS a rarement le temps de le faire.

Que se passe-t-il lorsqu’au bout des deux mois, les personnes ne sont pas prêtes à sortir?

En pratique, on demande un délai supplémentaire à FEDASIL. Cette demande est parfois acceptée, mais très souvent elle ne l’est pas. En cas de refus, on explique la situation aux gens et on leur dit qu’ils peuvent introduire un recours contre cette décision devant le Tribunal du travail. Si par contre la demande est acceptée, c’est souvent pour des délais dérisoires. Une fois ces délais dépassés, certaines familles n’ont pas d’autre issue que de rester dans leur logement d’accueil. Mais leur accueil n’est plus financé par FEDASIL et on est censé les mettre à la porte, ce qu’on ne peut pas accepter car ce n’est pas en accord avec notre éthique de travail. SESO continue donc à prendre les personnes en charge, sur ses fonds propres. Un logement d’accueil est alors “perdu” car il ne peut pas être offert à une nouvelle famille. Ce n’est pas évident non plus de savoir quelle aide les personnes peuvent recevoir du CPAS pendant cette période qui dure, selon les cas, un mois, deux mois… Après un certain temps, si les gens n’ont pas trouvé de solution, on introduit un dossier d’expulsion auprès du juge de paix. Mais il arrive qu’au dernier moment, on arrête l’expulsion parce qu’on estime que la famille a de bonnes raisons de ne pas pouvoir déménager.

Selon vous, comment les choses pourraient-elles s’améliorer?

La chose la plus importante serait d’avoir plus de temps et de mettre moins de pression sur les familles. Elles sont de toute façon sous pression, donc ce serait bien que le fait qu’elles cherchent de manière active soit pris en considération. FEDASIL devrait au moins analyser les situations et accorder un sursis si les familles prouvent qu’elles ont fait tout leur possible pour trouver un logement.

Il serait nécessaire aussi d’avoir une réelle aide à la recherche de logement, par des personnes engagées pour cela ou via un endroit de transit qui prendrait en charge les familles le temps nécessaire. 

Propos recueillis par Valentine De Muylder

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