Depuis quelques mois, l’afroféminisme émerge dans l’espace public belge. Les combats médiatisés du collectif français Mwasi ou encore la sortie en 2016 du film d’Amandine Gay Ouvrir la voix ont favorisé la propagation de ce concept partout en Europe. La Belgique, avec son contexte colonial particulier, n’y a pas échappé.
Afroféminisme, à quoi bon? Le féminisme n’englobe-t-il pas toutes les causes? “Certaines questions mêlant racisme et sexisme touchent exclusivement les femmes, explique, Geneviève Kaninda, coordinatrice de la jeune Cellule afroféminine du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations. L’afroféminisme, c’est cumuler deux discriminations: être une femme et être noire. Cela s’appelle l’intersectionnalité. Mais il existe d’autres facteurs d’oppression, comme l’orientation sexuelle, le handicap ou la classe sociale.
Et Achaïso Ambali, afroféministe convaincue, renchérit sur le fait “qu’il faut encore définir le concept. Des femmes nord-africaines se retrouvent dans nos propos, mais si on parle de la couleur de peau, elles ne s’y retrouvent plus. Il faut réfléchir et cadrer ces enjeux”. Leslie Makoso Kilenda ajoute “qu’il est important que les femmes du Collectif, toujours plus nombreuses, puissent parler de ces spécificités entre femmes, au sein de notre Cellule, sans que les hommes parlent à leur place”.
Décoloniser le féminisme ?
Il se fait qu’en Belgique, le féminisme “classique” est né quasi en même temps que le système colonial; alors qu’il révélait l’oppression des femmes, il naissait également dans un contexte d’oppression “raciale”. Geneviève explique comment, à l’époque, “les femmes belges, porteuses d’un féminisme naissant, partaient dans les colonies avec la mission d’émanciper la femme africaine, qui était considérée dans l’œil du colon comme encore plus inférieure, parce qu’elle était aussi oppressée par l’homme africain. On aurait pu penser que ces femmes belges défendraient une sorte de solidarité “biologique”. Mais il n’en a rien été ; il fallait éduquer les négresses, d’ailleurs inférieures à elles. Le féminisme occidental devait trouver une adhésion, et pour adhérer à ce modèle-là, les femmes africaines devaient d’abord être occidentalisées et parvenir à la modernité”.
Afin de maintenir une cohérence liée à la décolonisation des esprits avec l’ensemble du Collectif, elles ont intitulé la cellule “afroféminine“, et non “afroféministe“. Cela ne signifie pas qu’elles se distancient des questions afroféministes, mais Geneviève insiste: “Transposer le combat afroféministe ici en Belgique va demander un travail conséquent de recherche et d’analyses. Résumer l’afroféminisme au fait d’être une femme noire exclut d’autres facteurs d’oppression. Décoloniser le féminisme, c’est accepter qu’il n’existe pas un féminisme hégémonique. C’est pourquoi définir un afroféminisme en Belgique, au stade actuel, c’est encore une sèche! L’afroféminisme belge existe déjà bel et bien, et son vaste champ d’action vient de s’entrouvrir.