Pour moins de détention, mieux la contrôler

Trop de personnes sont détenues en centre fermé sans raison impérieuse. Un contrôle plus rigoureux de la détention devrait aboutir à vider les centres de toutes les personnes qui ne devraient jamais s’y trouver.

 “Il est universellement reconnu que la privation de liberté ne devrait être appliquée qu’en dernier recours. Or, elle fait de plus en plus office de première solution et de moyen de dissuasion. Cela se traduit par des placements en rétention aussi massifs qu’inutiles. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par ce recours excessif à la rétention et par la longue série de problèmes graves qui en résulte“. À l’instar de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui se prononçait à ce propos dans une résolution datant du 28 janvier 2010, de nombreuses voix s’élèvent pour s’inquiéter de la banalisation de la détention administrative des demandeurs d’asile et des migrants aujourd’hui.

Une mesure de dernier ressort

Même la “directive retour” tant décriée – à juste titre – par la société civile européenne, n’autorise le recours à la détention que lorsque “d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives [ne peuvent] être appliquées efficacement dans un cas particulier” (Article 15.1).

Moins de détention administrative des étrangers: c’est une alternative aujourd’hui obligatoire pour tous les pays de l’Union européenne. Une alternative politiquement et légalement accessible à bref délai. Il est donc urgent que le législateur belge stipule noir sur blanc que la liberté est le principe et la détention l’exception – une mesure de dernier ressort. La priorité doit être donnée au retour volontaire sur le retour forcé et, à cette fin, que des mesures d’accompagnement des étrangers en séjour irrégulier soient développées dans le respect des libertés fondamentales et de la dignité humaine.

Un contrôle au rabais

Mais on ne peut se limiter à des déclarations de principe. Il faut se donner les moyens de les rendre effectives dans la réalité. Pour qu’elles ne restent pas lettre morte, il est essentiel de donner au juge tous les moyens de vérifier que la détention est bien une mesure de dernier ressort. Dans son rapport d’enquête sur les centres fermés publié en juin 2009, le Médiateur fédéral résumait bien l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le contrôle judiciaire de la détention administrative des étrangers: “Si on peut affirmer que les personnes qui se trouvent dans les centres fermés sont sous le coup d’une mesure d’éloignement qui autorise leur maintien en centre fermé et que leur détention est donc techniquement légale, aucune disposition en droit belge ne prévoit la vérification de la proportionnalité du recours à la détention au regard de l’objectif d’éloignement, ni de son équité au regard des situations individuelles.”

Les étrangers sont menottés lorsqu’ils doivent se rendre au palais de justice. En attendant de passer devant le juge, ils sont enfermés dans les cellules du palais en compagnie des prévenus…

Mais il est clair que le petit nombre de détenus qui utilisent ce recours est un symptôme clair de son ineffectivité. Selon l’Office des étrangers, en 2009, 6439 personnes ont été placées en centre fermé mais il y a eu au cours de la même année seulement 1484 procédures de mise en liberté. Cela représente au maximum – car il est certain que certaines des procédures comptabilisées concernent la même personne – 23% des détenus. Quant aux étrangers effectivement remis en liberté suite au succès d’une requête de mise en liberté, nous ne disposons pas de chiffres, mais l’observation sur le terrain montre que le taux de réussite est extrêmement bas, sans doute sous la barre des 10%.

Décriminaliser le contrôle

Une avocate a un jour décrit le contrôle judiciaire de la détention administrative des étrangers comme suit: “Un recours qui combine le “pire” de la procédure pénale et le “pire” de la procédure administrative”.
La requête de mise en liberté se base en effet sur la procédure utilisée en matière de contrôle de la détention préventive: même tribunal – la Chambre du conseil –, même procédure accusatoire avec réquisitoire du Ministère public – la plupart du temps pour demander le maintien en détention – et surtout même traitement – les étrangers sont menottés lorsqu’ils doivent se rendre au palais de justice. En attendant de passer devant le juge, ils sont enfermés dans les cellules du palais en compagnie des prévenus; ils sont amenés devant le juge escortés par deux policiers. Avec à la clé des effets pervers…

Je me souviens d’Aminata, une jeune femme africaine, revenue traumatisée de son passage devant la Chambre du Conseil. Elle a refusé que son avocat introduise à nouveau une requête de mise en liberté: “Je ne veux plus être humiliée de cette manière”.

D’un point de vue symbolique, il est loin d’être anodin que l’on juge les étrangers détenus administrativement au cours de la même audience que des présumés délinquants. Il est nécessaire de décriminaliser le contrôle judiciaire de la détention des étrangers dans ses aspects pratiques mais également peut-être plus fondamentalement dans sa conception. S’il est heureux que le contrôle soit confié à un juge de l’ordre judiciaire, ne conviendrait-il pas qu’il soit exercé devant une chambre civile et non devant une chambre pénale ?Étant donné le prix qu’on donne en démocratie à la liberté de mouvement, n’est-ce pas la moindre des choses que de demander à l’administration de justifier dans chaque cas pourquoi elle estime nécessaire de priver une personne de ce droit fondamental ?

Élargir le contrôle

Cependant, lorsqu’on compare l’étendue et les aspects procéduraux des deux contrôles de privation de liberté, celui exercé en matière pénale et celui relatif aux étrangers, on constate d’importantes différences… au détriment des étrangers !

En premier lieu, le contrôle de la détention des étrangers est extrêmement restreint. La loi demande à la Chambre du conseil de vérifier la légalité de la détention mais lui interdit de se prononcer sur son opportunité, alors qu’en ­matière pénale, la chambre est invitée à juger “de la nécessité du maintien de la détention”. La Cour de cassation interprète de manière très restrictive ce contrôle de légalité. Récemment encore, elle a estimé qu’un juge avait outrepassé ses attributions lorsqu’elle avait jugé disproportionnée une privation de liberté parce que l’étranger ne présentait aucun risque d’entrer dans la clandestinité (arrêt du 9 novembre 2009).

Si ce n’est la volonté d’exonérer l’administration d’un travail de discernement au cas par cas, rien ne semble justifier cette limite imposée au contrôle de la Chambre du conseil. Ce ne serait qu’une manifestation d’équité que le législateur élargisse le contrôle de la détention en permettant au juge de se prononcer non seulement sur sa légalité mais aussi sur sa nécessité, son opportunité et sa proportionnalité.

Assouplir le contrôle

L’étranger est encore défavorisé par rapport à la personne en détention préventive par un traitement différent en matière de procédure. Alors que le contrôle est automatique en matière pénale, il ne s’exerce que sur demande dans le cas de l’étranger. Tandis que le Ministère public ne peut se pourvoir en cassation contre un arrêt de remise en liberté en matière pénale, l’État belge peut le faire vis-à-vis de l’étranger avec la conséquence que celui-ci reste en détention.

Cela donne lieu à des situations kafkaïennes. Fin avril 2010, un demandeur d’asile irakien était remis en liberté après six mois de détention, alors qu’en janvier, un tribunal avait déjà considéré sa détention illégale. Ce jugement a été confirmé par la suite mais l’administration s’est pourvue en cassation. Tout cela pour rien… Quelques jours avant l’audience, l’Office des étrangers a remis cette personne en liberté. La Cour de cassation ne se prononcera donc pas.

Il y a donc du pain sur la planche pour nos élus du Parlement fédéral: une réforme de la requête de mise en liberté serait la bienvenue. Elle pourrait apporter des changements remarquables dans la pratique actuelle de la détention des étrangers. Étant donné le prix qu’on donne en démocratie à la liberté de mouvement, n’est-ce pas la moindre des choses que de demander à l’administration de justifier dans chaque cas pourquoi elle estime nécessaire de priver une personne de ce droit fondamental ? Gageons que ce sera un des chantiers de la législature qui s’ouvre en cet automne 2010. 

Notes:
1   À cet égard, le développement des maisons de retour pour les familles avec enfant sont un pas dans la bonne direction (cf. article de Pieter Stockmans, p. 55).
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