Malades sans frontières

Les Belges adorent les étrangers malades. Bon, à dire vrai, on les aime surtout quand ils restent à l’autre bout du monde et que c’est la Croix-Rouge, MSF ou Médecins du Monde qui s’en chargent. Si les autochtones sont souvent partisans de la coopération au développement, souvent très généreusement d’ailleurs, ils se montrent en revanche frileux sur le bénéfice de l’aide médicale aux étrangers résidant déjà ici, surtout s’ils en tirent un droit au séjour.

À vrai dire, ce qui gêne est le sentiment d’opacité et de non-transparence. Nous aimons donner en ayant conscience que nous rendons service; nous sommes réticents à l’idée de laisser des personnes profiter d’un système et les transformer en droits acquis. Syndrome du nouveau riche qui aime qu’on mérite ce qu’on gagne, un peu comme la N-VA qui n’est pas contre les mécanismes de redistribution envers les Wallons, mais bien contre le fait que ceux-ci soient noyés dans la solidarité sociale fédérale au lieu de prendre la forme d’un don, d’un investissement qui honorerait celui qui donne et qui responsabilise celui qui reçoit.

Pourtant, si nous étions ressortissants d’un pays du Sud, parent ou enfant d’une personne malade ou malade nous-mêmes, si notre survie dépendait d’aller ou non se faire soigner dans un pays du Nord, qui parmi nous se laisserait sagement mourir pour l’honneur d’avoir sauvé l’équilibre de la sécurité sociale? Qui parmi nous ne considérerait pas là qu’il s’agit de la compensation du contribuable occidental pour être né directement et sans effort dans un pays où les soins lui seront disponibles facilement? Car quoi de plus injuste que la maladie? Quoi de plus clivant que le sort qui s’acharne plus durement, par le biais de la maladie, sur ceux qui n’ont pas les moyens de se soigner?

Parmi tous les thèmes liés au séjour, la question médicale paraît la plus sensible humainement, la plus directement tragique, parce qu’elle annule la médiation du temps et des possibilités qui constitue l’airbag habituel de notre bonne conscience. Dans le reste des dossiers migratoires, les mesures restrictives sont légitimées par l’appréciation que la vie de l’intéressé n’est pas en danger. Il n’est pas trop grave de refuser telle demande d’asile puisque le pays d’origine n’est pas à risque; il n’est pas trop grave de renvoyer telle personne chez elle puisque son pays n’est pas en guerre mais “juste” pauvre. La plupart du temps, on peut se réfugier derrière la nuance: la vie n’est pas directement menacée? Très bien, on peut fermer les portes. Tant pis si les conditions de vie sont exécrables, tant pis si la misère est omniprésente, tant pis si on meurt bel et bien, mais à petit feu de désespoir. Question de timing. On ne meurt pas tout de suite si on est expulsé, ce n’est donc pas la conséquence directe de l’expulsion et c’est tout ce qui compte.

Parmi tous les thèmes liés au séjour, la question médicale paraît la plus sensible humainement, la plus directement tragique, parce qu’elle annule la médiation du temps et des possibilités qui constitue l’airbag habituel de notre bonne conscience.

Si le séjour pour raison médicale gêne, c’est parce qu’il représente, protection internationale mise à part, la seule situation qui met radicalement et ostensiblement ce postulat en échec: la vie elle-même en jeu, directement, sans étapes ni considérations d’appréciation. On ne rigole plus. Le malade, ce n’est pas sa qualité de vie qu’il joue, c’est sa vie tout court.

Et pourtant, tout est relatif. Les personnes malades ont tendance à mourir un peu plus vite que les autres, c’est tout. Or le motif de leur agonie n’est pas leur maladie comme cause univoque, mais sa combinaison avec cette curieuse idée de l’avoir développée dans un pays mal équipé sur le plan sanitaire. Non, ce n’est pas juste le sort qui est en jeu, c’est aussi l’iniquité des moyens de développements. Cela ne fait que nous ramener de manière plus brute que d’ordinaire à l’implacable réalité: tant que les gens mourront de misère, de maladie et des deux combinés, nous serons en demeure de nous montrer solidaires et nous enfreindrons leurs droits fondamentaux en leur refusant des soins qui les maintiendraient en vie, un point c’est tout. Que cela prenne la forme d’un chèque à MSF ou d’une ponction fiscale vers la sécu ne devrait pas faire grande différence, sauf dans nos têtes. Pour celui qui est soigné, le choix entre charité et solidarité n’est qu’un luxe sémantique de riches.

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