Une petite ville tranquille en Wallonie, avec ses “immigrés” qui “s’intégraient” calmement, sans jamais oublier d’où ils venaient…
Verviers, petite ville de près de 55.000 habitants située au cœur de la région liégeoise, est souvent sous le feu de l’actualité, notamment lorsqu’il s’agit de diversité ou de politique d’intégration. Pourtant, elle fut longtemps considérée avant tout pour ses richesses, notamment dans le domaine industriel, et fit les beaux jours des manufactures de la région. Mais le déclin économique a très vite laissé place au questionnement sur “la place des personnes d’origine étrangère”, arrivées nombreuses pour travailler en Belgique après la Seconde guerre mondiale. Verviers, ville “fière de ses couleurs” comme on pouvait encore le lire il y a peu dans ses allées1, a d’ailleurs vu bon nombre de ces immigrés rejoindre mines, usines et autres fabriques depuis plus de 50 ans. Immigration italienne, espagnole mais aussi turque et marocaine dont les fameux Jbalas2 de Taounate, particulièrement présents dans le bastion liégeois.
Parmi eux, Mohamed et sa femme, Fadela, arrivés en Belgique au milieu des années 60. Sourire aux lèvres, adossé à son canapé tout près de son épouse, Mohamed, la septantaine, relate avec nostalgie ses années passées à travailler, son arrivée à Welkenraedt d’abord, puis son départ fin des années 80 pour Verviers, qu’il n’a jamais quitté depuis. Parti du Maroc à partir de l’enclave espagnole de Melilla, le voyage fut long, une grande première pour Mohamed qui s’en allait vers l’inconnu. “On n’avait pas besoin de grand-chose pour rejoindre l’Europe à l’époque mais le jour de mon départ, je ne savais pas trop ce qui m’attendait alors j’ai caché des billets de 100 dirhams dans ma cravate, par peur qu’à la douane, on me prenne le peu que j’avais!“, raconte-t-il en riant.
Loin des yeux, près du cœur
Arrivé le 14 novembre 1964 comme touriste, on lui propose un boulot d’ouvrier dans le bâtiment où il commence dès le 16 novembre, soit deux jours après son arrivée. “Quand je suis arrivé, le plus dur pour moi, c’était la distance avec mon foyer. J’ai dû vivre sans ma femme et ma fille pendant trois ans avant qu’elles me rejoignent, et je vous assure que le grand froid et la neige n’étaient rien comparé à la douleur de vivre sans eux“, avoue-t-il, en regardant sa femme. Le quotidien pour un Marocain en Belgique dans les années 60? Travailler toute la journée pour, le soir venu, tenter de retrouver ses copains de fortune, peu nombreux à cette époque. “En ce temps là, nous étions cinq du même bled. Il y avait du boulot pout tout le monde, donc on se considérait bien nantis. Et puis, on ne ressentait pas de discriminations comme on peut le voir aujourd’hui. Il y avait un respect mutuel très profond, c’était vraiment une époque différente“.
Quand il évoque ses retours au pays, Mohamed ne peut s’empêcher de rire. “Tiré à quatre épingles, au volant d’une voiture chargée de bagages pleins de tout ce dont on rêvait depuis toujours. On me prenait pour un bourgeois! J’avais l’air de vendre du rêve mais c’était surtout le résultat d’une année de travail doublé de la volonté de construire un avenir et une vie meilleure pour mes enfants“. Les liens que la diaspora marocaine de Verviers a conservés avec “le bled” sont d’ailleurs assez forts. Les Jbalas du coin se retrouvent tous à Taounate chaque année pour les grandes vacances, “ce qui donne l’impression que nous nous voyons toute l’année“, explique Mohamed. Mais ce dernier est aussi lié au pays de par son implication à la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, ce qui l’occupe quand il retourne au Maroc. “Nous avions beaucoup de rencontres avec les Hauts responsables marocains dans les années 80. On organisait surtout le retour des Marocains au pays, notamment en demandant la mise en place d’aires de repos sur la trajectoire des vacanciers en Europe. Aujourd’hui, je m’occupe encore de certaines affaires locales quand je retourne à Taounate. Je ne demanderais pas mieux que d’y rester toute l’année d’ailleurs. Être chez moi, au soleil, reprendre mes activités sociales avec les gens de mon village, m’occuper des petites affaires politiques locales, labourer mes terres comme je l’ai fait avec mon père. Mais aussi se reposer au pays, avec nos anciens copains, la famille qui y est encore car c’est là-bas que je veux finir ma vie. Mais nos enfants, eux, vivent en Belgique, alors on revient“, raconte-t-il, sous le regard absorbé de Fadela. “Le Maroc, c’est mon pays et la Belgique, c’est mon chez moi“
Les Jbalas du coin se retrouvent tous à Taounate chaque année pour les grandes vacances, “ce qui donne l’impression que nous nous voyons toute l’année”, explique Mohamed
Fadela, c’est la mama marocaine typique. Mère, et même grand-mère poule à l’écoute de la moindre doléance, toujours prête à dénicher une friandise aux mômes qui l’entourent, à rasséréner les plus déboussolés, à dorloter les plus attristés. Elle ne rêve d’ailleurs pas d’un “retour au bled” comme son mari car, chez elle, c’est ici, auprès de ses enfants. “Le Maroc c’est mon pays et la Belgique, c’est mon chez moi. Même si nous gardons des liens très forts avec Taounate, qui reste ma terre natale, ma place est ici, là où nous avons participé à la vie sociale de la région, où nous avons bâti notre vie et celle de nos enfants depuis près de 50 ans“. Son arrivée dans le plat pays, elle l’a vécue comme une renaissance mais aussi comme un nouveau départ. “J’ai commencé à travailler dès 1969. On était seulement deux Marocaines à l’usine lainière. Je me rends compte avec le recul que c’est à travers le travail que j’ai pu m’intégrer. J’y ’ai appris à conduire, à écrire, à vivre comme tout le monde sans dépendre de qui que ce soit“, explique-t-elle d’un air timide.
“On bossait dur presque tous les jours et la vie n’était pas aussi luxueuse qu’aujourd’hui. Pas d’occupation ni de loisirs. Pas de chauffage central ou de douches à domicile mais on était heureux. Aujourd’hui, les gens ont tout ça mais ne se rendent pas compte qu’il a fallu travailler dur pour y arriver“. Un avis que partage Abdeljalil, responsable au Centre culturel et islamique de Veviers (CECIV) qui est aussi entraineur de l’équipe de football du quartier. Arrivé en Belgique à l’âge de 5 ans, il n’a que peu de souvenirs de sa vie au Maroc. Mais il évoque avec émoi les journées de labeur de ces parents, dont il fut témoin dès son plus jeune âge. “Ce que nos parents ont vécu, nous en serions incapables aujourd’hui. Tout quitter pour venir travailler à plus de 2000 km de chez soi, dans des conditions précaires, dans un climat froid, seuls, loin des amis, de la famille, dans l’unique but de nous donner un avenir meilleur, c’est digne de super héros“. Un travail de mémoire qui, selon lui, semble loin d’être acquis pour les jeunes d’aujourd’hui mais également pour certains politiques, dont les discours semblent négliger le poids de la génération des Golden Sixties, qui a pourtant donné sa vie pour le développement du pays, de son pays.