C’était avant Kompany, avant Lukaku, avant Benteke. Au début des années 60, le premier black du foot belge s’appelait Léon Mukuna. Congolais de naissance, il fut naturalisé pour pouvoir jouer en équipe nationale.
Malgré les années, les souvenirs sont précis. Les équipes, les scores, le nom des joueurs, Léon Mukuna en parle comme si c’était hier. S’il y a plusieurs vies dans la vie de Léon, elles tournent toutes autour du ballon rond. Un sport qui nous ramène cinquante années en arrière, vers un Congo qui vit ses dernières heures coloniales et une Belgique qui réalise à peine ce qui est en train de se jouer.
“Trouet” pour troué
La vie de Léon est faite de rencontres. Comme celle de “Tata Raphaël”, nom donné par les Congolais au Père missionnaire belge Raphaël de la Kéthulle, initiateur de l’Union sportive de Léopoldville (ancien nom de Kinshasa). C’est lui qui fera notamment construire avec le soutien de l’Église le plus grand stade du continent africain de l’époque, le Stade Reine Astrid1. Grâce à lui, le jeune Léon sera pris en charge par l’Association royale sportive (ARC) et dans la foulée intègre l’ASV Club de Kinshasa. C’est à cette époque là que Léon aurait un jour troué le filet du goal adverse alors qu’il tirait un penalty. On raconte que les spectateurs fous de joie n’ont pas arrêté de scander à tue-tête les mots “Troué ! Troué !” pour saluer l’exploit de leur joueur. Depuis ce jour, le surnom de “Trouet” ne le quittera plus. “Tout le monde me connaissait, j’étais devenu une star“, explique Léon. Peu importe ce qui s’est réellement passé, ce jour-là Léon entre définitivement dans la légende.
Avant de prendre la direction de la Belgique, Léon jouera 3 ans au Portugal. De retour à Léopoldville, il joue en juin 1957 contre l’Union Saint-Gilloise en déplacement au Congo. L’équipe belge remporte le match 6-0, deux buts congolais ayant été annulés pour hors-jeu. Des émeutes éclatent à l’issue du match. Officiellement, c’est l’arbitrage qui est mis en cause. Mais l’indépendance n’est plus très loin. Malgré un contexte de plus en plus tendu avec la métropole, la sélection congolaise se rend en Belgique. Le programme est chargé puisque Léon jouera contre les grandes équipes du championnat belge. “J’étais heureux d’affronter tous ces grands clubs. J’ai joué contre Anderlecht, le Standard, Charleroi, le Beerschot, la Gantoise…“. À l’issue de cette tournée, Léon signe un contrat avec le club de La Gantoise. Il y restera 5 saisons avant de jouer pour Waregem en 2ème division.
En équipe B
Léon sera le premier joueur d’origine congolaise à disputer le championnat belge. “Je dois dire que j’ai été bien reçu par la population belge et par l’équipe ! Je n’avais pas vraiment conscience de ce que ça symbolisait. L’important pour moi, c’était le football. J’ai tout de suite trouvé ma place dans le club. Il fallait voir les encouragements des supporters de la Gantoise quand je jouais. Il y avait tellement de monde. Il faut dire qu’on avait une très bonne équipe”. Léon arrive en Belgique avec sa femme et ses 7 enfants. Le club lui offre une voiture et lui loue une maison à Gand, une ville qu’il ne quittera plus puisque c’est là qu’il vit toujours 50 ans plus tard. “Le peuple belge, y compris en Flandre, a toujours été très accueillant avec moi.”
Sa carrière en Belgique ne s’arrête pas là puisqu’il portera même les couleurs de notre pays à l’étranger. “Mes prouesses à la Gantoise ont attiré l’attention de l’Union belge de football. Un jour, j’ai reçu une convocation me demandant d’intégrer l’équipe nationale. J’étais très fier de jouer pour la Belgique”. L’image est belle et le symbole fort. Sans doute un peu trop pour l’époque. Malgré ses performances sportives, Léon ne sera autorisé à intégrer que l’équipe nationale B. Pas celle des légendes de l’époque comme Paul Van Himst et Constant Vandenstock.