Le 14 décembre 1950, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait la résolution 429 qui propose de réunir une conférence plénipotentiaire dans le but de finaliser et de signer une convention portant sur le statut des réfugiés.
Les représentants de 26 gouvernements se retrouvent ainsi à Genève au mois de juillet 1951 pour discuter de ce texte. Parmi ces pays, on compte de nombreux États occidentaux mais aussi l’Irak, l’Égypte et la Colombie. En revanche, il n’y a aucun pays du bloc communiste si ce n’est la Yougoslavie de Tito. Finalement, après trois semaines de discussion, les délégués aboutissent à un accord et adoptent le 28 juillet 1951 la “Convention de Genève”. Ce texte n’entrera en vigueur que trois années plus tard, le 22 avril 19541.
Le drame des réfugiés durant la Seconde guerre mondiale
Durant l’Entre-deux guerres, la protection des réfugiés était limitée. Après la Seconde guerre mondiale, l’approche est radicalement différente. Les centaines de milliers de réfugiés jetés sur les chemins de l’exil sont dans toutes les mémoires. Avec le nombre croissant de réfugiés et la crise économique qui sévit depuis le milieu des années 1970, la politique des États en matière d’accueil des réfugiés n’a cessé de se dégrader à l’époque se résume par ces mots: “Plus jamais ça”. C’est dans ce contexte que l’Organisation internationale des réfugiés (OIR) voit le jour en 1947. Toutefois, elle ne se voit doter que d’un mandat provisoire. En 1950, la question des réfugiés est loin d’être réglée. Nombre d’entre eux errent encore et toujours sur les routes d’Europe. Face à ce constat alarmant, certains États membres de la toute nouvelle Organisation des Nations unies estiment qu’il est indispensable de créer une agence qui aurait pour mission de régler la question des réfugiés. Cette agence serait dotée par la même occasion d’un dispositif juridique sur lequel reposerait sa mission. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) voit le jour en 1950.
Une convention limitée dans l’espace et dans le temps
Mais, en signant la Convention de Genève, les délégués des États réunis à Genève se gardent bien de signer un chèque “en blanc”. Ainsi, la portée de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés est limitée dans le temps et dans l’espace: principalement réservée aux réfugiés d’Europe, la Convention de Genève ne devait s’appliquer au départ qu’aux événements antérieurs au 1er janvier 1951. Le mandat du HCR était lui aussi limité. À l’époque, on s’imaginait que la question des réfugiés allait être réglée en moins de trois années. Mais dès 1954, force est de constater que les crises provoquant l’exode des populations n’ont pas disparu. Face à l’ampleur et à la persistance du drame des réfugiés, un protocole additionnel à la Convention de Genève est finalement adopté en 1967 à New York. Celui-ci lève les contraintes temporelles et les restrictions géographiques de la Convention de 1951 sur les réfugiés tout en conservant les autres dispositions du document initial.
Les bases du système moderne de protection des réfugiés
Près de 60 ans après son adoption, le texte de la Convention de Genève reste la référence. Il définit la base sur laquelle un État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui le demandent. Il consacre également “le principe de non-refoulement”, c’est-à-dire le non-renvoi d’une personne dans un pays où sa vie serait menacée. Dès le départ, cette clause suscite la polémique. Certains États considérant que le principe de non-refoulement ne s’appliquait qu’aux personnes qui se trouvaient déjà sur le territoire d’un pays. D’autres, en revanche, estimant que la Convention de Genève consacrait la vision d’un droit d’asile que l’on peut qualifier de “dérogatoire”, à savoir un droit d’asile conçu comme une dérogation à la fermeture des frontières. Les tenants de cette vision se fondent sur le fait que la Convention de Genève n’aborde que l’article 14 sur le droit d’asile de la Déclaration des droits de l’Homme de 1948 mais pas l’article 13 sur la liberté de circulation. Enfin, certains estiment que ce texte avec ces trois notions indéfinies – “craignant avec raison”, “persécutée”, “toute personne” – pose finalement plus de problèmes qu’il n’en résout.
Réfugiés: une perception qui change
En près de 60 ans, le nombre de demandes d’asile a littéralement explosé. De moins d’un million en 1951, les réfugiés sont passés à 16 millions, auxquels s’ajoutent 26 millions de déplacés à l’intérieur de leur propre pays, en 2009. Dans un premier temps, de nombreux pays ont accueilli massivement des réfugiés pour des raisons politiques ou humanitaires. Ce fut le cas notamment pour tous ceux qui fuyaient les régimes communistes pour passer “à l’Ouest”. L’accueil des réfugiés s’inscrit très clairement à l’époque dans une perspective de message politique qui s’insère dans le contexte de la guerre froide. Leur accueil se fait “par quotas en fonction de l’actualité de l’autre côté du mur et dans les Pays de l’Est”2. Mais la perception positive dont jouissait le réfugié change progressivement. Avec le nombre croissant de réfugiés et la crise économique qui sévit depuis le milieu des années 1970, la politique des États en matière d’accueil des réfugiés n’a cessé de se dégrader. Les États estiment aujourd’hui qu’ils doivent faire face à une “surcharge de leurs systèmes d’asile”. Ils tentent alors d’enrayer l’afflux des demandeurs d’asile qui viennent frapper à leurs portes en développant notamment une interprétation de plus en plus restrictive des critères de la Convention de Genève. Avec pour conséquence que les États limitent de plus en plus l’accès au statut de réfugié et tentent de se prémunir des abus réels ou perçus.
Notes:
1 Cet article s’inspire notamment d’un dossier spécial réalisé par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés à l’occasion du 50e anniversaire de la Convention de Genève. Celui-ci s’intitule 50e anniversaire de la Convention de 1951: le rempart érigé pour protéger les réfugiés, UNCHR, Genève, 2001
2 Sylvie Saroléa, “Une politique d’asile ?”, numéro hors série de la revue Politique, janvier 2005.
Genève et le droit d’asile
La Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 n’est pas un acte fondateur du droit d’asile. Elle est seulement une composante (importante) du droit de l’asile. C’est un traité dont la ratification amène les États signataires à inscrire dans leur système juridique national la reconnaissance d’un principe fondamental: le droit d’asile. Pourtant, cette simple convention d’application va se substituer idéologiquement au principe dont elle assure la mise en œuvre. Depuis plus de cinquante ans, le “succès” idéologique de la Convention de Genève sur les réfugiés, soutenue par les capacités financières, humaines et communicationnelles de l’organisme chargé de sa mise en œuvre, le HCR, est d’avoir occulté le principe fondamental derrière un ensemble de dispositifs d’application qui apparaissent aujourd’hui, aux yeux de tous, comme la source première des régimes juridiques concernés. Les spécialistes eux-mêmes, fonctionnaires du HCR et des administrations ou juridictions nationales, ont fini par oublier les articles 13 et 14 de la Déclaration de 1948 qu’ils n’utilisent pas dans leurs pratiques professionnelles de mise en œuvre du droit d’asile. Ils ne raisonnent plus que par référence aux règles de la Convention de Genève ainsi qu’à l’ensemble des règles nationales de transcription de cette convention et des règles jurisprudentielles de son application: le droit de l’asile est devenu ainsi un cadre de pensée relativement autonome par rapport au principe même du droit d’asile.
Cet extrait est tiré d’une communication de Jérôme Valluy (Université Paris I, CRPS, TERRA), ”Le droit de l’asile contre le droit d’asile et la liberté de circuler” Communication au colloque international La liberté de circuler de l’Antiquité à nos jours: concepts et pratiques, Collège de France et École normale supérieure, Paris, 21-24 mars 2007…
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