Gagner un pays sur le ring

Ils s’appellent Jaouad, Raheleh ou Sasha. Ils pratiquent un sport de combat et ils ont porté les couleurs de la Belgique sur la première marche des podiums. Leurs chemins vers ce drapeau hissé haut sont aussi divers que leurs origines. Être champion, la voie la plus courte (mais pas la moins douloureuse) pour devenir belge? Pas si sûr.

Vous êtes né en Belgique. Vous êtes belge. Cela semble une réalité immuable, une identité qui vous colle à la peau, rappelée et confirmée à coup de carte (d’identité), de formulaire administratif ou de passeport. La nationalité, statut juridique liant un individu à un État, ne se négocierait pas. Ah bon?

Avec le sport de haut niveau, la nationalité devient un concept à géométrie variable, en fonction des fédérations, des sports et des pays. Au football, une apparition dans l’équipe nationale (“adulte”) et la FIFA vous lie à tout jamais à cette nation. Au rugby, il suffit d’avoir un grand-parent de la nation en question, de résider trois ans (deux ans pour le handball) de suite dans le pays et c’est bingo. Sur un ring ou un tatami, les règles semblent varier…

©Belga

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Plusieurs parcours, un drapeau

Grâce à son statut de réfugiée, Raheleh Asemani a pu combattre à Istanbul en janvier 2016 pour se qualifier aux Jeux olympiques de Rio. Sans nationalité? Oui. Le Comité international olympique (COI) a permis aux sportifs réfugiés de concourir sous la bannière olympique cet été. “En accueillant cette équipe, nous voulons envoyer un message d’espoir à tous les réfugiés du monde“, affirmait son président Thomas Bach, en mars dernier. Raheleh luttera finalement sous le drapeau belge. Cette Iranienne a été naturalisée le 17 mars 2016. Auparavant, la taekwondoïste avait franchi toutes les étapes : statut de réfugiée en 2014, introduction d’une demande de naturalisation en 2015, et donc naturalisation en mars 2016. Juste avant les J.O., Raheleh a été aussi efficace et rapide sur le tatami qu’en démarches administratives. Elle fait partie des 14 heureux élus naturalisés entre début 2013 et mars 2016 sur base de la loi du 4 décembre 2012.

Depuis cette loi, seuls ceux qui peuvent “témoigner à la Belgique des mérites exceptionnels dans les domaines scientifique, socioculturel ou sportif” ont une chance d’obtenir la nationalité belge en introduisant une demande devant la commission “naturalisation” de la Chambre. Par “mérites exceptionnels”, il faut comprendre “disposer d’un doctorat” 1 pour le domaine scientifique. Pour le socioculturel, il faut que celui qui demande la nationalité belge ait atteint “la sélection finale d’une compétition culturelle internationale” ou ait été récompensé sur la scène internationale “en raison de son investissement social et sociétal”.

©Renaud Deheyn

©Renaud Deheyn

Pour les sportifs, les “mérites exceptionnels” sont très clairement définis : “avoir satisfait aux critères de sélection internationaux ou aux critères imposés par le COIB pour un championnat d’Europe, un championnat du monde ou les Jeux olympiques, ou se trouver dans le cas où la fédération de la discipline sportive concernée considère qu’il ou elle peut représenter une valeur ajoutée pour la Belgique dans le cadre des phases éliminatoires ou finales d’un championnat d’Europe, d’un championnat du monde ou des Jeux olympiques”.

Raheleh Asemani aura tout le loisir, en rejoignant Rio, de débattre avec Jaouad Achab de la politique de naturalisation en Belgique. Ce champion du monde des moins de 63 kg en taekwondo, né marocain, est entré au pays par regroupement familial : “Mon papa travaillait en Belgique en tant que chauffeur de bus et faisait tout pour nous faire venir. Mais pour cela, il avait besoin des papiers. Nous sommes alors arrivés chacun à notre tour : ma sœur d’abord, puis mon grand frère et enfin moi. Mon petit frère a suivi et enfin ma maman.“ 2

Lui est arrivé en 2009, à 17 ans. Il est naturalisé en 2013. Bonne pioche. Un an plus tard, Achab devient champion d’Europe. Deux ans plus tard, il réédite l’exploit au niveau mondial, seul taekwondoïste belge à avoir réussi pareille performance. En 2015, Jaouad Achab a obtenu le Joyau du Sport flamand.

©Belga

Aujourd’hui, Jaouad parle français, flamand, anglais et parade avec le drapeau noir-jaune-rouge lors de ses victoires. Un châle qu’il entend bien endosser sur la plus haute marche du podium à Rio. Être champion dans un sport de combat faciliterait donc l’intégration en Belgique? Les choses ne sont pas aussi simples pour Sasha Yengoyan.

L’uppercut d’Office

Au premier coup d’œil, on ne croirait pas que Sasha Yengoyan est un boxeur aguerri. Pas très grand, le corps mince, difficile d’imaginer les muscles saillants d’athlète sous son t-shirt. Seul son nez cassé laisse entrevoir les coups qu’il a reçus sur le ring. Mais quand il retire son t-shirt pour l’entraînement, on comprend deux choses : il est très musclé et il est arménien. Comme en témoigne la croix arménienne qui s’étale dans son dos en noir et blanc. À la base, cette croix, cadeau de sa mère, pendait autour de son cou au bout d’un pendentif. De peur de l’abimer, il a décidé de se la faire tatouer, “pour qu’elle soit toujours avec moi“.

Il est radical, Sasha. Lors de la visite de MICmag, le boxeur commençait son premier jour d’un entraînement intensif. Le sac de frappe se déformait sous ses coups précis et puissants. “Comme c’est le premier jour, je vais y aller doucement, histoire de me mettre dans le bain“, dit-il en sueur. Le sac ne s’en est toujours pas remis. On aimerait bien savoir à quoi ressemblent les entraînements plus intensifs… Sasha Yengoyan se prépare pour un match au Canada. Si du moins sa situation est régularisée d’ici là. Arrivé en Belgique à l’âge de 27 ans, il a obtenu son permis de travail en décrochant (via son entraîneur) un boulot en tant qu’aide en cuisine, une profession figurant dans la liste des métiers en pénurie.

©Colin Delfosse

Depuis lors, il a distribué pêches, châtaignes tout en cuisant les carottes de ses adversaires. En quatre ans il a remporté 37 victoires, dont 27 par KO (pour à peine deux défaites) et plusieurs titres : champion de Benelux, de Belgique. Il a surtout gagné le titre du World Boxing Federation dans la catégorie des super-welters (entre 66 et 70 kilos), faisant de lui un champion du monde (en 2014). Affilié à la Vlaamse Boks Liga (donc une licence belge), le boxeur, même s’il ne représente que lui, était présenté comme Belge. “Lors des matchs, quand on présente le boxeur, on précise que la personne vient de Gand, explique Willy De Groof, responsable de la Vlaamse Boks Liga. Implicitement, on inscrit l’exploit comme étant belge.” D’ailleurs, tout au long de l’interview, lorsqu’il parle de ses combats, Sasha répète “Pour la Belgique, j’ai gagné…” ou encore “Quand j’ai combattu pour la Belgique…

Mais en mars 2016, Sasha s’est pris un solide uppercut de l’Office des étrangers. Son métier d’aide en cuisine ne faisait plus partie des professions en pénurie. Il a donc été invité à quitter le territoire. S’il ne jette pas l’éponge facilement, il éprouve de la colère et de l’amertume. Sa fille est scolarisée ici (une manifestation de soutien a été organisée pour eux). Il construit en Flandre occidentale une nouvelle vie depuis quatre ans. Cela ne compte visiblement pas. Selon Gaëlle Aussems, juriste du service juridique général de l’ADDE  (l’Association pour le droit des étrangers), “la décision prise par l’Office des étrangers est logique. Son dossier a été traité en fonction de son permis de travail. Sasha l’a obtenu grâce au travail d’aide en cuisine et non en tant que boxeur. Ce métier n’étant plus en pénurie, l’expulsion est justifiée aux yeux de l’Office des étrangers“.

Sasha Yengoyan se prépare à faire une nouvelle demande de permis de travail, dans un autre métier de la liste des professions à pénurie. Aide mécanicien, ajusteur monteur, boulanger, boucher, la Belgique manque de mains. Et celles de Sasha valent de l’or.

1. Loi du 4 décembre 2012
2. Jeudi 21 mai 2015, “Le Bruxellois Jaouad Achab est devenu champion du monde de Taekwondo : “Je rêve tous les jours de l’or olympique à Rio !””, LaCapitale.be
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