Être Belge… et le rester!

La nationalité peut se perdre par différents mécanismes, qu’il s’agisse de renonciation ou d’acquisition d’une autre nationalité avant 18 ans. Outre ces quelques situations, la nationalité peut se perdre par ce qu’on appelle la déchéance de nationalité. La nouvelle loi en précise les contours.

Les dispositions actuelles qui peuvent conduire à la déchéance de nationalité peuvent être réparties en deux grandes catégories, en fonction de la procédure qui pourra être appliquée. Dans les deux cas, la nouvelle loi apporte de substantielles nouveautés.

La déchéance pour “manquement grave aux devoirs du citoyen”

C’est en 1922 qu’une loi de circonstance a pour la première fois envisagé, pour une période temporaire, la possibilité de retirer la nationalité belge à ceux qui avaient œuvré contre la Belgique pendant la guerre. En 1934, en réaction à des activités antibelges dans les cantons dits “rédimés” – ceux que le Traité de Versailles avait fait perdre à l’Allemagne au profit de la Belgique –, le ministre de la Justice dépose un projet de loi sur la déchéance. Plusieurs parlementaires illustres, comme Destrée, Spaak et surtout Rolin luttent alors pied à pied pour limiter les aspects les plus exorbitants du droit que contenaient les dispositions en projet. Mais ce fut sans grand succès, tant la crispation politique et nationale était grande au sein de l’hémicycle et de la société. L’estocade finale a été donnée par le ministre Bovesse quand il lut une circulaire du parti communiste polonais qui conseillait à ses militants en Belgique d’acquérir rapidement la nationalité, éventuellement par le mariage avec des camarades belges du parti, afin de contrer les risques d’expulsion1. C’est ce texte, voté dans un contexte de crise, qui a presque littéralement été repris dans notre code de 1984 pour viser les modalités de la déchéance, sans faire l’objet de grandes discussions2.

La nouvelle loi du 4 décembre 2012 a fortement élargi les possibilités, en définissant les conduites visées comme celles d’avoir “acquis la nationalité à la suite d’une conduite frauduleuse, par de fausses informations, par faux en écritures, et/ou utilisation de documents faux ou falsifiés, par fraude à l’identité ou par fraude à l’obtention du droit de séjour

Ces modalités sont directement héritées des dispositions des années 30, leur contexte expliquant sans doute le caractère exceptionnel de la méthode, expéditive et ne prévoyant qu’un seul degré de juridiction. Le Parquet doit s’adresser à la Cour d’Appel, qui statue dans un délai d’un mois, l’opposition en cas d’arrêt par défaut n’est possible que pendant huit jours et le recours auprès de la Cour de cassation est à peu près exclu. Peuvent faire l’objet d’une déchéance de nationalité, ceux qui “ne tiennent pas leur nationalité d’un auteur belge au jour de leur naissance”. Comme le formule à l’époque de manière explicite un éminent juriste, sont protégés “les Belges “purs”, ceux dont le sang est incontestablement belge”3. La réforme de 1991 a étendu la protection contre la déchéance aux enfants de la troisième génération selon l’article 11 du Code qui vise aujourd’hui également les enfants qui deviennent belges par déclaration de leurs parents avant leurs 12 ans. Tout autre Belge peut donc être victime de déchéance, même l’enfant né en Belgique de parents inconnus, qui est donc belge depuis la naissance. Il est difficile de trouver dans notre arsenal législatif une disposition plus ouvertement discriminatoire que celle-là.

La déchéance pour fraude

En 2006, la possibilité de déchéance par la Cour d’Appel a été ouverte en cas de fraude grave et déterminante ayant permis l’acquisition de la nationalité. C’est surtout sur cette base que quelques procédures ont été menées depuis lors, mais elles sont restées rares. La nouvelle loi du 4 décembre 2012 a fortement élargi les possibilités, en définissant les conduites visées comme celles d’avoir “acquis la nationalité à la suite d’une conduite frauduleuse, par de fausses informations, par faux en écritures, et/ou utilisation de documents faux ou falsifiés, par fraude à l’identité ou par fraude à l’obtention du droit de séjour”, pour autant que l’action soit entamée dans les cinq ans de l’acquisition de la nationalité.

Alors qu’en 1934, les parlementaires avaient consacré à cet aspect des choses des heures de discussion, le caractère expéditif d’une procédure pourtant si lourde de conséquences n’a pas été évoqué car les parlementaires ont débattu surtout des moyens d’élargir les possibilités d’application de la déchéance à tous les aspects de la fraude. Ils cherchaient à répondre au souci exprimé par les interventions “du terrain”, en l’occurrence celles d’officiers d’état civil soucieux de voir viser celui qui a fraudé non pas pour devenir belge, mais pour acquérir un droit de séjour, que ce soit par l’asile ou par le mariage. Sans doute chacun avait-il également bien compris qu’au-delà de son effet d’annonce, cette première procédure ne trouverait pas en réalité beaucoup plus d’applications que par le passé…

Le retour de la double peine

C’est ici que les débats parlementaires ont été le plus fournis. De très nombreux amendements ont modifié la proposition initiale de l’Open VLD qui prévoyait par exemple l’automatisme de la déchéance en cas de condamnation de plus de cinq ans ou de mariage de complaisance. La loi permet à présent dans certains cas aux juges qui statuent au pénal d’ajouter la déchéance de nationalité à la condamnation. Il faut que la condamnation dépasse cinq ans sans sursis, et que les faits – commis dans les dix ans de l’acquisition de la nationalité – soient repris dans une liste de crimes et délits spécifiques tels que diverses infractions en matière nucléaire, l’atteinte à la Sûreté de l’État, les crimes contre l’humanité, la plupart des infractions qualifiées de terroristes, ou encore la traite des êtres humains. Les explications données par les travaux préparatoires quant à ce que vise cette disposition sont nébuleuses et les débats ne les ont guère éclairées. Ce sera donc aux tribunaux d’avoir de l’imagination. Enfin, le juge qui annule un mariage a la possibilité de déchoir de la nationalité celui qui est devenu belge grâce à ce mariage4.
La procédure offre davantage de garanties pour la personne visée, mais elle permet surtout une mise en œuvre plus facile et vise un champ d’application plus vaste.

Il est difficile d’admettre que la communauté que forme plus ou moins bien la Belgique d’aujourd’hui est faite de tous ceux qui y grandissent et y vivent

Les parlementaires en étaient bien conscients, puisque c’est ici qu’a été introduite une mention relative à l’apatridie. Le Conseil d’État et certains parlementaires avaient en effet attiré l’attention sur l’obligation qu’a en principe la Belgique d’éviter de créer des apatrides. Le droit international, et en particulier le droit européen ne peuvent en effet plus être mis de côté, même dans une discussion qui semble porter sur une matière typiquement relative à la souveraineté nationale. Priver quelqu’un de sa nationalité belge a en effet pour conséquence de le priver de sa citoyenneté européenne. Il a ainsi été précisé que la déchéance ne pouvait être prononcée si la personne n’avait pas une autre nationalité, sauf déchéance pour fraude5.

Nous sommes loin du discours à la Chambre d’Henri Rolin le 30 juillet 1934 quand il déclarait: “Je demande tout au moins que la mesure d’exception que nous prenons contre une catégorie de Belges soit subordonnée à la violation des seuls devoirs que le droit public connaît jusqu’à présent, devoirs déterminés par la loi sous le vocable de “crimes contre la sûreté de l’État” et non pas par l’arbitraire des magistrats”.

Il est manifestement difficile pour notre Parlement – et peut-être pour une grande partie de la société – d’admettre que la communauté que forme plus ou moins bien la Belgique d’aujourd’hui est faite de tous ceux qui y grandissent et y vivent. Au-delà des innombrables problèmes pratiques que les dispositions que nous venons de passer en revue risquent d’entraîner, elles témoignent d’une mentalité d’arrière-garde fondamentalement discriminatoire en ce qu’elle croit pouvoir en cas de difficulté extirper certains membres du corps social, choisis en fonction de leur origine. Espérons que les tribunaux, plus encore que par le passé, seront prudents au moment d’utiliser les moyens que leur a donnés le législateur.

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