Bilan avec Olivier De Schutter, rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation

Depuis les grandes crises alimentaires de 2008 et 2010, on peut parler d’une véritable prise de conscience. Mais si le diagnostic est connu et partagé, les réponses concrètes tardent à venir.

Comme des millions de paysans dans le monde, Idrissa lutte pour nourrir sa famille. 2/3 des personnes qui souffrent de la faim sont paysans. Est-ce une fatalité?
C’est la conséquence de choix posés depuis le début des années 1980 au moment où on a favorisé l’agriculture de rente et les cultures d’exportation. L’essentiel des investissements privés et des soutiens des gouvernements ont eu lieu dans ces secteurs au détriment des petits agriculteurs qui cultivent le sorgho, le manioc ou la patate douce. Des produits qui, sauf exception, ne sont pas compétitifs sur les marchés internationaux. L’agriculture s’est progressivement dualisée avec, d’un côté, les grandes exploitations qui ont capté les investissements du secteur privé et, de l’autre, une très grande masse de petits agriculteurs qui se sont appauvris.

Les crises alimentaires en 2008 et en 2010 ont conduit les gouvernements et le secteur privé à s’intéresser à nouveau à l’agriculture, notamment aux secteurs qui avaient été largement privés d’investissements

Peut-on parler ces dernières années d’une prise de conscience?
Les crises alimentaires en 2008 et en 2010 ont conduit les gouvernements et le secteur privé à s’intéresser à nouveau à l’agriculture, notamment aux secteurs qui avaient été largement privés d’investissements en matière d’infrastructure de stockage et de communication. Mais les erreurs du passé sont répétées : on réinvestit au bénéfice d’exploitations agricoles de grande taille au détriment des petits paysans dispersés sur de larges espaces dans les zones rurales. Depuis 2008, les investissements ont crû de manière importante mais je suis inquiet de voir qu’ils ne répondent pas aux besoins du développement rural ni à la lutte contre la pauvreté.

Quelles sont les priorités?
Avant tout, il faut soutenir les petits agriculteurs en leur donnant accès aux marchés locaux et régionaux en investissant dans les infrastructures de stockage et de communication ainsi que dans la formation. Puisque le secteur privé ne le fait pas, les gouvernements doivent prendre l’initiative. Mais soutenir les petits agriculteurs ne suffit pas si on ne prend pas des mesures qui aident l’ensemble de la population à surmonter la pauvreté. D’abord pour garantir à tous un pouvoir d’achat minimum qui donne accès à une alimentation adéquate. Ensuite parce que si on ne réduit pas la pauvreté dans les régions où elle continue d’affecter de larges parties de la population, les petits producteurs n’auront personne à qui vendre leur récolte, faute d’un pouvoir d’achat suffisant dans les communautés. Ils continueront à produire de la vanille, du café ou du cacao pour l’exportation en délaissant les cultures vivrières.

Entre 2008 et 2014, vous avez été rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation : quelles évolutions avez-vous pu constater durant votre mandat?
Des avancées notables sont à signaler du point de vue du diagnostic porté sur la situation. Très clairement, le changement est réel par rapport au début de mon mandat. Il existe aujourd’hui un consensus très fort pour encourager les mesures évoquées. Mais des discours à la réalité, il y a un gouffre parfois très profond. Malheureusement, le hiatus demeure énorme entre les intention des pouvoirs publics et la capacité des investisseurs publics et privés à prendre le relais.

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