La régularisation des étrangers est un processus à deux visages selon que l’on se place du point de vue de l’étranger qui demande à être régularisé ou du point de vue de l’État qui octroie un titre de séjour à un étranger précédemment en séjour illégal.
Lorsqu’un État décide de régulariser des sans-papiers, il présente souvent cela comme une mesure de faveur. L’État indique tantôt qu’il prend une telle mesure pour réparer les dommages liés à la lenteur des procédures administratives en prenant acte de l’intégration des personnes qui ont vécu en Belgique durant ces procédures, tantôt qu’il fonde sa décision sur des raisons humanitaires. Il présente alors la régularisation comme une mesure gracieuse que celui-ci n’est pas contraint de prendre, un peu comme un chef d’État qui gracie un condamné ou une administration fiscale qui déciderait d’une amnistie.
Est-ce à dire que l’étranger n’a aucun droit (entendu ici au sens d’un droit positif et non du droit naturel) à faire valoir en matière de régularisation? Pourtant, la lecture de certains droits fondamentaux semble suggérer l’existence d’un droit à la régularisation du séjour. Cette apparence de droit découle de quelques décisions que la Cour européenne des droits de l’Homme a prises sur la base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
La régularisation n’est plus alors l’obole que le pouvoir accorde à l’étranger en situation illégale, mais la reconnaissance de ce que sa présence, fut-elle illégale, dans une société donnée est créatrice de droits. Cet article n’a a priori pas grand-chose à voir avec ce qui nous occupe puisqu’il traite du droit au respect de la vie privée et de la vie familiale. Si ce n’est que la Cour de Strasbourg envisage la vie privée non seulement sous l’angle du droit à l’intimité, mais également en ce qu’elle comprend le droit de toute personne à nouer des relations sociales et à la prise en compte et à la protection de cette sphère relationnelle. Cette lecture du droit au respect de la vie privée qui, au départ, ne concernait nullement des questions migratoires, a permis à la Cour européenne des droits de l’Homme de prendre en considération la situation d’étrangers ayant noué des relations sociales dans un État pendant des années et menacés ensuite d’expulsion.
Ainsi, dans les affaires Aritimuño Mendizabal ou Syssoyeva, la Cour a jugé que le fait d’avoir laissé les requérantes en situation illégale pendant des années violait l’article 8. Ces affaires peuvent à tout le moins servir de base à la revendication d’étrangers ayant séjourné légalement, mais de manière temporaire ou précaire sur le territoire d’un État et qui auraient légitimement cru qu’ils pouvaient obtenir le titre de séjour qu’ils demandaient. Le contenu donné ici au concept de vie privée peut inspirer l’étranger en situation totalement illégale qui démontrerait que la régularisation de son séjour est le seul moyen qui lui permettrait de continuer à maintenir cette vie sociale.
Une question d’équilibre
Dès lors, est-il légitime qu’un État restreigne ou prive une personne de ce droit lorsque celle-ci ne s’est pas pliée aux règles en matière d’entrée et de séjour? La réponse à cette question n’est pas simple. Elle dépend des circonstances de l’espèce et des démarches qu’a accomplies l’étranger pour tenter de régulariser son séjour. L’analyse sous l’angle de l’article 8 est une recherche d’équilibre dans la mise en balance des intérêts en présence : celui de l’étranger qui souhaite pouvoir vivre légalement là où il s’est installé et celui de l’État qui souhaite voir respecter les règles qu’il a adoptées. Ce qui pose la question de la proportionnalité du moyen utilisé par rapport à l’objectif réellement poursuivi.
La régularisation n’est plus alors l’obole que le pouvoir accorde à l’étranger en situation illégale, mais la reconnaissance de ce que sa présence, fut-elle illégale, dans une société donnée est créatrice de droits. Il s’agit par là de reconnaître que l’illégalité de l’entrée sur le territoire ne justifie pas la condamnation à devoir vivre dans un purgatoire juridique toute une vie. Compte tenu des raisons qui conduisent les migrants à prendre la route, des dangers de celle-ci, et surtout de notre humanité commune, avant tout autre critère, une telle sanction paraît disproportionnée par rapport à l’objectif légalement légitime de contrôle des frontières.