Régularisation: la violence d'une non politique

Carte blanche. Environ 150.000 personnes vivent sans papiers en Belgique. Des hommes, des femmes, des enfants. Nos voisins, collègues, amis, camarades de classe…

Vivre sans-papiers, c’est être exclu de la plupart des droits. C’est vivre dans une situation de précarité sociale constante. C’est devoir accepter n’importe quelles conditions de travail pour n’importe quel salaire. C’est mettre sa vie entre parenthèses, sans pouvoir se poser, se projeter, faire partie de la société. C’est vivre sans vivre, être là sans être là. C’est vivre dans la crainte de croiser la police, même quand on n’a commis aucune infraction, et même quand on est soi-même victime d’abus. C’est faire l’objet d’une violence inouïe. Or, on ne construit pas une société juste sur base de violence, d’exclusion et de précarité. Une vision radicalement différente des migrations, fondée sur l’égalité et les droits, est dès lors indispensable.

Une multitude de situations peuvent amener des personnes à se retrouver “sans papiers”

Comment devient-on “sans-papiers” ? Une multitude de situations peuvent amener des personnes à se retrouver “sans papiers”. On citera celle des personnes en besoin de protection internationale mais qui, mal informées ou mal accompagnées par les autorités, n’osent pas demander l’asile. D’autres l’ont demandé, mais n’ont pas réussi à convaincre les instances belges du risque de persécution auquel elles font face. Il y a des personnes venues travailler en Belgique munies d’un permis de travail qui, suite à un différend avec leur employeur, ont perdu leur emploi et donc leur titre de séjour. Des personnes venues dans le cadre du regroupement familial, et qui ont perdu leur droit au séjour suite à une séparation ou à des violences conjugales. Des étudiants internationaux qui n’ont pas validé suffisamment de crédits au cours de l’année écoulée ou qui, simplement, arrivent au bout de leurs études sans avoir trouvé de travail assez vite. Il y a enfin celles et ceux qui ne rentrent dans aucune catégorie tant la politique migratoire actuelle est restrictive et qui, dans l’impossibilité de rentrer chez eux, n’introduisent aucune demande de peur de se signaler aux autorités.

Un cadre légal flou

Régularisation et arbitraire, une union pour la vie ? Pas forcément… A l’heure actuelle, la loi du 15 décembre 1980 – qui règlemente l’accès au territoire et le séjour en Belgique – prévoit déjà la possibilité d’être régularisé lorsque “des circonstances exceptionnelles” empêchent le retour dans le pays d’origine pour introduire une demande de séjour. Mais ces circonstances ne sont pas définies par la loi et sont laissées au pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’Office des étrangers. Deux dossiers similaires peuvent ainsi donner lieu à deux décisions différentes, l’octroi d’un titre de séjour ou au contraire un ordre de quitter le territoire. Il s’agit de ce qu’on appelle le “pouvoir discrétionnaire” du secrétaire d’État, que permet un cadre légal flou. L’arbitraire institué par la procédure de régularisation actuelle a donné lieu à de grandes différences d’un gouvernement à l’autre, dans la manière dont les demandes de régularisation étaient traitées selon le ministre en charge des compétences d’asile et de migration. Car à l’heure actuelle, l’article 9 bis, qui est la base légale de la régularisation permettrait de régulariser tout le monde, mais également de ne régulariser personne. Cette absence de règles place les demandeurs dans une situation d’insécurité permanente : il est impossible de prédire l’issue de la demande et donc, de se projeter dans l’avenir.

Mobilisés pour une vraie politique de régularisation

Face à cette absence de politique, dès le début des années 1990, un mouvement social s’est constitué et a mené de nombreuses actions pour obtenir la mise en place de critères, ce qui a finalement été le cas en 1999. La détermination de critères clairs et leur application aux dossiers introduits avait alors abouti à la régularisation de quelques dizaines de milliers de personnes. Ces critères reprenaient l’ancrage durable sur le territoire, le fait d’avoir une promesse d’embauche ou d’avoir des enfants mineurs scolarisés. Malheureusement, la loi de 1999 ne permettait l’introduction d’un dossier de régularisation sur base de ces critères que pendant une période de trois semaines. De nombreuses personnes n’ont donc pas pu être régularisées sur cette base. Un nouveau mouvement s’est constitué et a mené des actions pendant les dix années suivantes, pour obtenir en 2009 de nouveaux critères, toujours temporaires et inscrits cette fois dans une instruction ministérielle, presque immédiatement annulée par le Conseil d’État. Depuis lors, le mouvement sans papiers poursuit sa mobilisation en faveur d’une vraie politique de régularisation.

Des critères clairs et permanents

30 ans de solutions-pansements, stop ou encore ?! Tant que la Belgique restreindra de cette manière l’accès au séjour légal, des personnes se retrouveront sans papiers. Et tant que des critères clairs ne seront pas inscrits dans la loi de façon permanente, le nombre de ces personnes ira en augmentant. Les gouvernements à venir devront se positionner : choisir, comme les deux derniers, de laisser une part importante de la population dans cette situation de précarité extrême, ou prendre leurs responsabilités et choisir de régulariser la situation de séjour de ces hommes, femmes et enfants qui vivent ici parfois depuis de très nombreuses années. Mettre en place des critères clairs et permanents de régularisation, c’est refuser l’arbitraire et l’insécurité juridique, mais c’est aussi mettre en place une solution structurelle et durable. Cela fait près de trente ans que la Belgique s’obstine à refuser une réelle politique de régularisation de séjour, et développe des solutions-pansements tous les dix ans. Pendant combien de temps encore allons-nous perpétuer ce cycle infernal ? Pour toutes ces raisons, nous, militants, sans papiers, citoyens, collectifs, syndicats et organisations, vous donnons rendez-vous le dimanche 28 avril, à 14h à la Gare du Nord de Bruxelles, pour exiger maintenant une politique de régularisation du séjour fondée sur des critères clairs et objectifs, inscrits dans la loi et mis en oeuvre par une commission pluraliste et indépendante.

Signataires

Carte blanche publiée dans Le Vif le 25 avril 2019, à l’initiative de la Plateforme de Concertation autour du Combat des Sans-papiers.

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