La Belgique a été condamnée pour la 9e fois par la Cour européenne des droits de l’Homme en matière d’asile et d’expulsion d’étrangers. Dans un arrêt rendu le 2 octobre 2012, la Cour juge, à l’unanimité, que la Belgique a violé les droits humains d’une famille afghane dont la demande d’asile avait été refusée. Le CIRÉ demande à la Belgique de prendre toute la mesure de cet arrêt important en matière d’asile.
Un couple afghan et leurs trois jeunes enfants, appartenant à la minorité sikhe, sont venus demander la protection de la Belgique. La minorité sikhe étant fortement discriminée et persécutée en Afghanistan, un retour durable pour cette famille dans leur pays n’était pas envisageable. Les instances d’asile belges ont pourtant rejeté cette demande parce que, selon elles, la nationalité afghane de la famille n’était pas prouvée. Les déclarations de la famille ont été jugées mensongères alors même qu’elle avait produit des documents d’identité et des attestations du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) susceptibles de prouver leur nationalité afghane.
La demande d’asile rejetée, l’Office des étrangers a pris des dispositions pour renvoyer cette famille vers Moscou où elle avait pris l’avion pour joindre la Belgique.
Craignant d’être ensuite directement refoulée par les autorités russes vers l’Afghanistan, où, du fait de son appartenance à la minorité sikhe, elle encourait un risque de traitements inhumains et dégradants, cette famille s’est adressée à la Cour européenne des droits de l’Homme pour lui demander de suspendre dans l’urgence ce refoulement vers Moscou, en attendant un jugement définitif. La Cour a répondu positivement à cette demande et a suspendu le renvoi.
Dans son arrêt rendu le 2 octobre 2012, la Cour confirme que la crainte de la famille d’être renvoyée par les autorités russes vers l’Afghanistan n’était pas infondée. Elle note que la famille s’est présentée à la frontière belge avec des documents d’identité et des copies des pages de deux passeports afghans. Et que des copies de mandats de protection du HCR ont été ultérieurement versées au dossier. La Cour dispose également de plusieurs rapports faisant état de discriminations et de violences à l’encontre de la minorité sikhe en Afghanistan.
À la lumière de ces éléments, la Cour estime que les autorités belges auraient dû procéder à un examen circonstancié de la demande d’asile et que les craintes de la famille d’être victime de torture ou de traitements inhumains et dégradants (proscrits par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme) étaient « défendables ».
La Cour considère également que si une mesure d’éloignement entraîne un risque de violation de cet article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la personne doit pouvoir disposer d’un recours qui suspende effectivement la mesure d’éloignement. Or, ce n’est pas le cas dans le système belge.
La Cour constate surtout que les instances d’asile ne se sont pas posées la question de savoir si la famille courait des risques de torture ou de traitements inhumains et dégradants. Ainsi, selon la Cour, « cet examen a été occulté au niveau du CGRA [Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides] par l’examen de la crédibilité des requérants et les doutes quant à la sincérité de leurs déclarations » […]. Le Conseil du contentieux des étrangers (CCE) – l’instance belge de recours en cas de refus d’une demande d’asile – confirma largement cette motivation et se contenta de l’instruction menée par le CGRA.
La Cour ajoute que les documents présentés au CCE n’étaient pas insignifiants et n’ont pourtant pas fait l’objet d’investigations, entre autres et par exemple auprès des bureaux du HCR de New Delhi, comme le recommandait d’ailleurs lui-même le HCR.
La démarche qui a consisté tant pour le CGRA que pour le CCE à écarter des documents, qui étaient au cœur de la demande de protection, en les jugeant non probants, sans vérifier leur authenticité, ne peut être considérée par la Cour comme un examen attentif et rigoureux attendu des autorités nationales et ne procède pas d’une protection effective contre les traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Le CIRÉ demande dès lors aux instances d’asile belges de prendre toute la mesure de cet arrêt, par :
- Un examen du risque de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme que pourraient encourir des personnes dont la demande d’asile a été rejetée en raison de leur déclaration jugée non crédible. Tous les éléments objectifs (comme les rapports sur la situation des droits humains) qui pourraient indiquer qu’il y a risque de traitements inhumains et dégradants en cas de rapatriement doivent être pris en compte.
- Un examen de ce risque non seulement par rapport au pays dont la personne a la nationalité mais aussi par rapport à celui vers lequel il pourrait être refoulé.
- L’ouverture d’un recours effectif contre une mesure d’éloignement (à savoir un recours qui suspende cette mesure d’éloignement) dès lors qu’il y a un risque de traitements inhumains et dégradants.
Sur base de ces revendications, le CIRÉ estime que le CGRA et le CCE ne peuvent plus se contenter de rejeter – comme trop souvent aujourd’hui – les demandes d’asile de ressortissants afghans au motif que ceux-ci n’établissent pas suffisamment leur nationalité ou qu’ils n’ont pas vécu récemment en Afghanistan. Le risque objectif qu’encourent ces personnes en cas de retour dans leur pays ou vers un pays qui pourrait les renvoyer vers l’Afghanistan doit également être analysé.
Écouter l’émission “L’envers de l’info” de la Première sur cette condamnation de la Belgique par la CEDH