Lors du Sommet européen de ces 18 et 19 février, la question migratoire est à nouveau à l’ordre du jour. L’une des solutions sur la table consiste à appliquer la notion de “pays tiers sûr”, notamment à la Turquie. Une mesure particulièrement inquiétante au regard du droit d’asile, du principe de non-refoulement et de la solidarité. Et qui vise, de plus en plus cyniquement, à empêcher les réfugiés d’arriver jusqu’en Europe, pour ne pas avoir à les accueillir et à les protéger. Nos organisations demandent dès lors à la Belgique de ne pas soutenir cette mesure. Communiqué de presse Amnesty international – CIRÉ – Vluchtelingenwerk Vlaanderen – 17 février 2016
La Commission invite les États membres de l’Union européenne à faire usage de la notion de “pays tiers sûr” notamment pour des pays comme la Turquie. Cela leur permettrait de pouvoir refouler en Turquie les demandeurs d’asile qui auraient transité par ce pays avant d’arriver sur leur territoire. Il est proposé de considérer la Turquie comme un pays effectivement capable de protéger les réfugiés à la place des pays européens. Ainsi, ils n’auront plus à traiter leurs demandes d’asile en Europe ni à les protéger.
Cette idée est très dangereuse et va à l’encontre du droit international. En effet, la notion de “pays tiers sûr” peut être appliquée par les États européens si certaines conditions essentielles sont remplies. Ainsi, ce concept ne peut être utilisé par les instances d’asile compétentes que lorsque le pays non-européen en question ne recourt pas à la persécution et aux mauvais traitements, respecte le principe de non-refoulement, examine les demandes d’asile et offre une protection aux réfugiés qui en ont besoin, conformément à la Convention de Genève de 1951.
Or, qu’en est-il en Turquie ? Ce pays a ratifié la Convention de Genève mais continue de limiter géographiquement son application: seules les personnes venant d’un pays européen peuvent être reconnues réfugiées. Il existe un statut de “réfugié conditionné” pour les non-européens, mais qui n’offre qu’un permis de séjour limité en Turquie, dans l’attente d’une réinstallation ailleurs, et sans garantie d’accès au marché du travail. Les conditions actuelles en Turquie ne permettent pas de garantir le respect des droits fondamentaux des réfugiés (fermeture de la frontière avec la Syrie, détention à la frontière gréco-turque, conditions de vie très précaires notamment pour les réfugiés syriens dans les camps, risque d’expulsions vers la Syrie…). Pour toutes ces raisons, la Turquie ne peut pas être considérée comme un “pays tiers sûr” pouvant offrir une réelle protection et des droits aux personnes réfugiées.
De plus, la Turquie accueille déjà sur son sol 2,5 millions de réfugiés syriens et quelques 300.000 réfugiés irakiens. L’Europe, en offrant 3 milliards d’euros au régime turc pour contenir ces réfugiés loin des frontières européennes, a agi de manière particulièrement cynique. Les États européens, aveuglés par leurs intérêts nationaux, se détournent ainsi de la solidarité la plus élémentaire et du respect des droits fondamentaux: ils poussent la Turquie à fermer sa frontières à des Syriens en fuite, au plus fort du conflit. Les demandeurs d’asile doivent pouvoir atteindre l’Europe de manière sûre et légale et leurs demandes doivent être examinées sur le sol européen, sans quoi c’est le droit d’asile qui est mis à mort par l’Europe.
Nous demandons à la Belgique, qui n’a pas transposé cette notion de “pays tiers sûrs” en droit belge, de ne pas l’adopter et de ne pas la soutenir au sein du Conseil européen. Et, dans tous les cas, de ne pas l’appliquer à des États comme la Turquie qui ne protègent pas effectivement les réfugiés et qui bafouent les droits fondamentaux des migrants.