Carte blanche. Le 24 novembre 2016, la loi insérant une condition d’intégration dans la loi sur le séjour des étrangers est entrée en vigueur. Ce projet est en cours de négociation entre l’État fédéral et les entités fédérées qui doivent encore parvenir à un accord sur le contenu de cette déclaration. Nos organisations ont déjà fait part aux différents responsables politiques de leur opposition et de leurs inquiétudes concernant ce projet. Nous les leur rappelons ci-dessous et les appelons aujourd’hui à en tenir compte lors de leurs prochaines négociations.
Ces modifications de la loi sur le séjour concernent certaines catégories d’étrangers venant, selon le texte, de “contextes culturels différents”. Les personnes visées sont en réalité essentiellement les membres de famille de Belges “sédentaires” (c’est-à-dire n’ayant pas exercé leur droit à la liberté de circulation) et de ressortissants de pays tiers exerçant leur droit au regroupement familial, les travailleurs ressortissants de pays tiers et les demandeurs de régularisation qui introduisent une demande de séjour.
Le législateur a voulu soumettre ces personnes à deux conditions. Il leur sera demandé de signer une “déclaration” qui énonce des “normes et valeurs fondamentales” de notre société, auxquelles il est attendu qu’elles se conforment, sous peine d’irrecevabilité de leur demande de séjour. Elles devront ensuite se plier à des procédures de contrôle qui permettent de vérifier leurs “efforts d’intégration”.
S’il peut a priori sembler normal d’attendre des citoyens qu’ils reconnaissent “les droits, décisions judiciaires, devoirs, libertés et valeurs” de la Belgique, et qu’ils s’engagent à les respecter “dans le souci de pouvoir vivre ensemble en paix et en toute sécurité”, il est profondément choquant de voir ce souci adressé spécifiquement aux migrants. Les étrangers arrivant en Belgique sont dépeints comme ne partageant pas a priori les mêmes valeurs que “nous” et comme constituant un danger potentiel pour la démocratie et la sécurité du pays. Ce texte suggère que les étrangers n’ont pas d’emblée la volonté de “s’intégrer” et de mener une vie “normale” en apprenant l’une des langues du pays, en étudiant, en travaillant, en envoyant leurs enfants à l’école… Les mentions relatives au mariage forcé, à l’égalité hommes-femmes, à la séparation de l’Église et de l’État, à la liberté de culte, à l’orientation sexuelle… peuvent en outre laisser penser qu’une communauté spécifique est particulièrement visée.
Les “normes” et les “valeurs” auxquelles cette déclaration fait référence (en mélangeant sans cesse les deux notions au risque de porter atteinte à des libertés fondamentales, les valeurs relevant de conceptions propres à chacun sur la manière de mener une “vie bonne”) figurent déjà dans la Constitution ou dans la loi belges que doit respecter toute personne qui vit en Belgique, quel que soit son statut de séjour ou sa nationalité, et dans les textes internationaux. Sélectionner certaines d’entre elles, les hiérarchiser et exiger des migrants qu’ils s’y conforment est inutile.
En outre, la défense des “valeurs” énumérées ne peut reposer sur des mesures touchant spécifiquement les primo-arrivants. On ne peut pas présupposer que les personnes migrantes seraient moins informées de ces valeurs, ni qu’elles y seraient moins sensibles que les Belges. Il faut donc recourir à un ensemble de mesures touchant toute la population, les atteintes à ces valeurs pouvant être le fait aussi bien de Belges que de non-Belges, voire des autorités elles-mêmes. Faire signer une déclaration de ce genre n’a aucun sens et ne peut avoir d’autre objectif que de stigmatiser les migrants.
Cette déclaration ne dit par ailleurs rien sur les droits des étrangers (ni sur les devoirs de l’État à leur égard), sur les principes d’égalité des droits, sur la non-discrimination, ni sur la répression de l’incitation à la haine raciale. Doit-on rappeler que par ses “principes communs de base”, l’Union européenne établit que l’intégration est un processus à double sens qui est de la responsabilité de la personne migrante, mais également de celle des autorités (via les dispositifs d’intégration en vigueur) et de la société d’accueil par la place qu’elle lui octroie?
Si la Belgique et les entités qui la composent entendaient réellement contribuer, ensemble, à l’objectif d’intégration des primo-arrivants, elles devraient prévoir les moyens garantissant un accès effectif des personnes aux dispositifs visant à favoriser l’intégration. À défaut, on aurait là un nouvel exemple de la tendance du gouvernement fédéral à vouloir construire une politique d’immigration basée sur la peur, la stigmatisation des migrants, le sentiment induit que les “problèmes d’immigration” résulteraient de la mauvaise volonté des migrants à s’”intégrer”, ou de leur adhésion à des valeurs prétendument différentes de celles de la société d’accueil.
Cette déclaration n’est pas un document anodin. Elle est prévue par une loi et un arrêté royal et produit des effets juridiques. La loi qui l’accompagne fait de l’intégration une nouvelle condition au séjour des étrangers. Elle pose donc fondamentalement question sur le message que le gouvernement fédéral entend communiquer aux étrangers et à l’opinion publique. S’agit-il de décourager les uns et d’effrayer les autres? De stigmatiser et de criminaliser encore plus les personnes étrangères, que l’on suspecte a priori?
De plus, ce texte ayant des implications concrètes sur la situation de la personne (notamment en matière de séjour), il ne peut contenir que des éléments concrets, mesurables, précis et réalistes. Ce qui n’est pas le cas: de nombreux engagements qu’il prévoit sont très vagues.
Nous invitons les responsables des entités fédérées à ne pas signer cet accord de coopération, tel qu’il a été proposé par le gouvernement fédéral. En le signant, ils soutiendraient et contribueraient à diffuser un message stigmatisant à l’égard des personnes étrangères qui résident dans notre pays.
Nous les invitons à s’inspirer de la “Charte de la citoyenneté” (Être citoyen en Belgique) rédigée en 2005 par la Commission du Dialogue Interculturel à l’attention des pouvoirs publics, dont certains extraits nous semblent particulièrement utiles aujourd’hui …
“La société belge se veut une société ouverte où différentes cultures et différentes sensibilités coopèrent et se rencontrent. La tolérance et le respect de l’autre dépendent du comportement de tous les jours».
“La diversité culturelle est une richesse. Les citoyens sont invités à faire vivre les traditions, les patrimoines et les expressions culturelles émergentes”.
“Construire une société plus juste et plus ouverte requiert la participation de tous”.
Signataires
- Association pour le droit des étrangers (ADDE)
- Bureau d’Accueil pour primo-arrivants – BAPA BXL
- Bureau d’Accueil pour primo-arrivants – BAPA Via
- Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI)
- Centre d’Action Interculturelle de la province de Namur (CAI)
- Centre Interculturel de Mons et du Borinage (CIMB)
- Centre Régional d’Action Interculturelle du Centre (CERAIC)
- Centre Régional d’Intégration de Charleroi (CRIC)
- Centre Régional d’Intégration de la province du Luxembourg (CRILUX)
- Centre Régional d’Intégration du Brabant-wallon (CRIBW)
- Centre Régional de Verviers pour l’Intégration (CRVI)
- Centre Régional pour l’Intégration des Personnes étrangères de Liège (CRIPEL)
- Convivial – mouvement d’insertion des réfugiés
- Coordination et Ini
tiatives pour Réfugiés et Étrangers (CIRÉ) - Ligue des Droits de l’Homme (LDH).
1: Loi du 24 novembre 2016 insérant une condition générale de séjour dans la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M.B., 16 janvier 2017.