Le coach Benjamin apprend à ses ouailles d’autres savoirs: taper dans la balle et discuter avec son voisin. Les deux demandent un peu d’effort.
“Qui a déjà joué au football?“. “- Cricket” répond un des demandeurs d’asile, sourire aux lèvres. L’échange entre Benjamin, l’entraineur, et ses joueurs est révélateur de la rencontre de deux mondes. “C’est souvent comme ça avec les Afghans, ils ne jurent que par le cricket, confie Benjamin. Et comme ils ne parlent pas nécessairement très bien l’anglais, c’est parfois un peu plus compliqué pour les entraineurs.“
Benjamin Renauld est “coach” au FC Kraainem en périphérie bruxelloise. “Je joue ici depuis que j’ai 6 ans“, explique cet étudiant de 24 ans en dernière année de sciences politiques à la KUL. “Quand j’ai vu les images des réfugiés qui passaient en boucle sur les écrans de télévision, comme beaucoup au club, je me suis demandé ce que je pouvais faire.” Et ce qu’il pouvait faire, c’était du foot. En ce début de soirée, la lumière est tombée aussi vite que la température. Des silhouettes tentent péniblement de se réchauffer en s’activant au bord du terrain sous les lumières blafardes des lampadaires. Un groupe de MENA 1 afghans découvre les lieux. Dans les vestiaires, Benjamin accueille les nouveaux venus: “Alors ça donne quoi les chaussures? Are you ok? Et les maillots, ça va la taille? You there, do you need socks?” Les mains plongées dans les mannes à linge, un demandeur d’asile tente de trouver maillot à sa taille et chaussures à son pied.
Young Refugees
Après quelques échanges, les joueurs exilés sont dispersés dans des équipes en fonction de leur niveau. “Allez, allez, on se dépêche“, lance Benjamin. Ils rejoignent leur groupe au pas de course. Benjamin les introduit auprès des entraîneurs: “Vincent, ça va si tu en prends deux ce soir? Des “internationaux”, je te promets“, lâche-t-il un peu gêné au coach des U17 contrarié d’interrompre son entrainement. Depuis le mois de septembre, Benjamin a repris les rênes du projet Young Refugees, lancé par le club il y a 18 mois. “Ce projet me tient à cœur, j’ai eu envie de m’impliquer. Je suis le point de contact entre le club et les centres d’accueil. Ils me transmettent les noms, je vérifie que les jeunes sont bien arrivés. Je m’assure que les entrainements se passent bien, tant du côté des joueurs que des entraîneurs.“
Ses mardis, mercredis et jeudis, il les passe au club. Trois fois par semaine de 17 h à 20 h 30. “L’entrainement ne démarre qu’à 18 h, mais le club organise une heure de cours de français avant chaque entrainement.” Des profs bénévoles se relaient pour assurer une heure de cours ces jours-là. Là aussi Benjamin est à la manœuvre. Les mercredis après-midi, il enfile sa tenue pour coacher l’équipe des U11, une quinzaine de jeunes âgés entre 9 et 10 ans. Parmi eux, Emmanuel et Bernardino, deux frères originaires d’Angola. Il y a aussi Omar qui a fui la Guinée-Conakry avec sa famille. “L’année dernière, on avait des équipes composées uniquement de réfugiés. Mais cette année, on a décidé de mélanger les joueurs.“
Ces jeunes viennent chaque semaine du Centre Fedasil de Rixensart pour assister aux entrainements. “On leur donne les maillots du club pour qu’ils fassent partie intégrante de l’équipe. On encourage les contacts avec les autres joueurs…” Des joueurs à part entière? Le club aimerait les affilier, mais les demandeurs d’asile ne peuvent pas jouer les matchs. “C’est vrai que c’est frustrant pour eux, reconnaît Benjamin. C’est une question de documents d’identité et d’autorisation parentale pour les MENA. Je suis en contact avec l’Union belge pour tenter de trouver une solution.“
Troisième mi-temps
Les bruits de paquets de chips crissent dans la cafétéria du club. L’entrainement touche à sa fin. Après la douche, place à l’échange et à la convivialité. Entretemps, notre “coach” est allé chercher des repas pour les demandeurs d’asile chez un traiteur du coin. Les repas sont financés par les sponsors du projet comme l’UEFA Foundation for Children ou la Fondation Roi Baudouin. “On mange ensemble. C’est un moment très important pour moi. C’est là qu’on peut vraiment discuter, échanger. Certains joueurs de club nous rejoignent à la cafétéria.“
Pour Benjamin, c’est très différent de voir des témoignages de demandeurs d’asile à la TV et de les côtoyer de près. Il insiste sur l’importance de discuter les yeux dans les yeux. “J’ai été très marqué par une rencontre avec un Érythréen. Il devait avoir 17 ans. L’ Érythrée, c’est un pays qu’on connaît très peu. Un soir après l’entrainement, il m’a parlé de la dictature dans son pays, du très faible pouvoir d’achat, ou du système éducatif défaillant. Il m’a expliqué tout son parcours, les trajets dans le désert, la Libye, la traversée de la Méditerranée et ses amis morts en mer ou au bord de la route.“
Il ne s’en cache pas, aller vers l’autre demande un effort. Il faut sortir de sa zone de confort et briser la glace. Entre les joueurs du club et les demandeurs d’asile, mais aussi entre les demandeurs d’asile eux-mêmes. “Je me souviens d’un groupe de réfugiés qui mangeaient ensemble sans se parler. C’est moi qui ai dû dire à un moment “mais tu sais lui aussi vient d’Afghanistan.” Ce n’est qu’à ce moment-là que la conversation s’est engagée entre les jeunes.“
Young Refugees Academy
La saison dernière, plus de 700 demandeurs d’asile âgés de 10 à 18 ans ont foulé les gazons du FC Kraainem dans le cadre du programme “Young Refugees”. Chaque semaine, le club accueille ces jeunes par groupes de 5 à 10 et leur propose une heure de cours de français suivie d’un entrainement avec les jeunes du club et d’un repas. Originaires d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, de Somalie, d’Érythrée ou d’autres pays d’Afrique, la plupart d’entre eux sont des mineurs étrangers non-accompagnés qui espèrent une réponse à leur demande d’asile. En attendant, ils séjournent aux centres d’accueil de Fedasil de Woluwé-Saint-Pierre ou de Rixensart. D’autres sont hébergés dans l’association voisine du club “SOS Villages d’Enfants”.