Accès aux soins en Belgique: une porte entrouverte

En dépit de dispositions nationales et internationales garantissant un accès équitable à la santé, de grandes inégalités persistent encore en Belgique, entre nationaux et migrants comme entre catégories de migrants. Le système des soins de santé belge est basé sur un système d’assurance. Toute personne cotisant à la sécurité sociale a accès à une assurance obligatoire qui la couvre pour ses soins de santé. Pour ceux qui ne cotisent pas, divers systèmes “subsidiaires” ont été mis en place qui dépendent du type de séjour de la personne. Au regard des multiples types de séjour et des situations particulières pouvant être rencontrées, nous avons donc un système qui est considéré par les bénéficiaires comme le plus complexe et le plus lourd d’Europe au niveau administratif1.

D’une manière générale, il existe quatre statuts spécifiques renvoyant chacun à des démarches et droits différents en matière d’accès aux soins. Il est donc primordial de déterminer à quelle catégorie appartient le demandeur d’aide pour s’assurer qu’il bénéficie d’un accès aux soins, lui éviter des démarches inutiles et ne pas créer des amalgames erronés.

Les migrants demandeurs d’asile

Toute personne qui demande l’asile a droit à la protection de l’État belge pendant toute la durée de sa procédure. Cette protection s’organise par le biais d’une prise en charge dans un centre d’accueil fédéral ou dans une structure partenaire. Elle comprend notamment la prise en charge médicale. Quelques distinctions existent déjà à ce stade.

  • Les demandeurs d’asile qui résident dans une structure d’accueil peuvent obtenir des soins médicaux via le médecin du centre ou un autre médecin désigné par le lieu d’accueil, chaque partenaire de l’accueil organisant de manière autonome son propre système.
  • Les demandeurs d’asile qui résident dans une Initiative locale d’accueil (ILA) d’un CPAS peuvent obtenir des soins médicaux chez un médecin généraliste de leur choix et/ou désigné par le CPAS en charge de l’ILA.

Tout demandeur d’asile a toutefois la possibilité de résider en dehors d’un centre (famille, amis…). Dans ce cas, seuls les soins de santé sont pris en charge. Pour ces personnes appelées “no show” dans le jargon, le paiement des soins médicaux se fait via la Cellule “frais médicaux” de Fedasil, située au siège de l’agence rue des Chartreux. C’est le demandeur d’asile ou le prestataire de soins qui doit en principe s’adresser au préalable à ce service en vue d’obtenir un engagement de paiement, appelé “réquisitoire”, à remettre au prestataire pour chaque soin nécessaire.

Il est important de signaler que depuis le début de la crise de l’accueil en 2008, bon nombre de demandeurs d’asile (appelés “non-désignés”) se sont retrouvés sans possibilité d’accueil ni même de prise en charge des soins de santé par Fedasil. Ces personnes outre le fait de ne pas avoir d’accueil physique se retrouvent aussi complètement exclues des soins.

En règle générale, les demandeurs d’asile ont droit aux soins médicaux prévus dans la nomenclature Inami, sous réserve de quelques exceptions. Les consultations de Médecins du Monde nous permettent d’identifier les principales difficultés concrètes auxquelles se heurtent ces différentes catégories de demandeurs d’asile.

Si la personne réside dans un centre, elle n’a généralement pas accès aux soins de santé mentale dans le centre même. Par ailleurs, la qualité du suivi varie d’un centre à l’autre et les centres eux-mêmes ont du mal à évaluer ce qui relève de la prise en charge médicale nécessaire au regard d’une situation administrative temporaire.

Les personnes qui restent en dehors des centres (“no show”) se heurtent quant à elles à des lourdeurs administratives (délais de remboursement trop longs, garanties de prise en charge tardant à venir, nécessité de renouveler chaque demande de soins via la cellule médicale de Fedasil) mais aussi à la difficulté concrète, pour un public précarisé, de devoir faire soi-même les demandes de prise en charge, alors que l’accès aux mails, fax ou téléphone est loin d’être évident.

Les migrants sans séjour légal

Cette catégorie de migrants forme un groupe hétéroclite. Il peut s’agir d’Européens se trouvant depuis plus de 3 mois sur le territoire et sans inscription à la commune, de clandestins (n’ayant jamais entamé aucune procédure), de personnes déboutées de leur demande d’asile ou d’autres procédures, d’anciens étudiants, de demandeurs de régularisation 9ter ou 9bis… Toutes ces appellations renvoient à une unique situation administrative: l’absence de séjour légal.

Cette aide dépasse le cadre strict de l’urgence et doit être appréciée comme l’aide nécessaire pour éviter toute situation médicale à risque pour une personne et son entourage.

La prise en charge des soins médicaux prévue pour ce public est régie par l’aide médicale urgente (AMU). Celle-ci est définie dans l’Arrêté royal du 12/12/1996 comme étant “une aide qui revêt un caractère exclusivement médical et dont le caractère urgent est attesté par un certificat médical. Cette aide ne peut être une aide financière, logement ou une autre aide sociale en nature. L’aide médicale urgente peut être prestée tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins. L’aide médicale urgente peut couvrir des soins de nature tant préventive que curative”. Seul un médecin peut donc attester du caractère urgent. Contrairement à ce que son nom indique, cette aide dépasse le cadre strict de l’urgence et doit être appréciée comme l’aide nécessaire pour éviter toute situation médicale à risque pour une personne et son entourage. En règle générale, est pris en charge ce qui relève de la nomenclature Inami.

Pour les mineurs en situation illégale et leur famille, le législateur a prévu que, si leurs parents ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien, une aide matérielle peut être accordée par le biais d’une prise en charge dans un centre d’accueil fédéral (soins médicaux dans le centre). Si les familles ne souhaitent pas être accueillies dans ces structures pour y bénéficier de l’aide, leur droit à l’aide médicale urgente reste maintenu.

L’octroi de l’aide médicale urgente relève de la compétence des Centres publics d’action sociale (CPAS). Trois conditions sont nécessaires pour en bénéficier. Il faut tout d’abord séjourner illégalement sur le territoire. Cela concerne donc toute personne étrangère qui ne dispose pas ou plus de titre de séjour, quelle que soit la façon dont elle est entrée sur le territoire. D’autre part, il faut être en état de besoin. La loi des CPAS ne précise pas cette notion qui doit donc être évaluée au regard des ressources de la personne et des charges qu’elle supporte. Notons qu’en l’absence d’une mutuelle, les soins médicaux peuvent s’avérer très vite extrêmement chers et donc influer sur l’évaluation de l’état de besoin. Par exemple, un accouchement simple sans couverture coûte 2500 euros. Enfin, il faut bénéficier d’une attestation d’aide médicale urgente signée par un médecin.

Si ces conditions sont remplies, la personne pourra bénéficier de cette aide auprès du CPAS de la commune où elle a sa résidence principale (centre secourant). Pour les personnes sans abri, il s’agit de l’endroit où elles passent le plus de temps. Cette notion est extrêmement vague et difficile à faire valoir. Des débats épiques entre CPAS ont déjà eu lieu pour savoir si Mr X réside davantage sur tel ou tel banc. En cas d’extrême urgence uniquement, le CPAS compétent territorialement sera celui du territoire sur lequel se trouve l’institution hospitalière, si la demande au CPAS est bien introduite pendant l’hospitalisation et s’il s’agit bien d’une urgence.

Notons que certaines conditions empêchent le CPAS d’accorder l’aide médicale urgente : existence d’une mutuelle en Belgique, d’une assurance maladie dans le pays d’origine, d’un garant, d’une assurance voyage. Chaque CPAS a son propre fonctionnement dans l’opérationnalisation de l’aide : certaines personnes recevront une carte médicale qui leur permettra de se faire soigner chez un médecin généraliste, d’autres devront se représenter chaque fois qu’un soin est nécessaire pour se voir délivrer une prise en charge.

Cette procédure compliquée entraîne de fait plusieurs types d’obstacles à l’accès aux soins : méconnaissance des droits, tant chez les patients que chez les prestataires ; arbitraire, inégalités et discriminations dans l’octroi de l’AMU, la pratique des CPAS n’étant pas harmonisée ; inadaptation de la procédure, trop longue pour des cas d’urgence médicale. Ajoutons à cela les obstacles dus à la différence des langues, à la complexité administrative et à la difficulté pour certains de prouver leur lieu de résidence.

Les migrants en séjour temporaire

Nous regroupons dans cette catégorie des personnes qui ont un droit de séjour temporaire ne leur procurant pas le même type d’assurance qu’un Belge ou qu’un étranger dont le séjour dépasserait 3 mois. Il peut s’agir de migrants européens autorisés au séjour pendant une période de 3 mois “touristique”, de migrants extra-communautaires disposant d’un visa quel qu’il soit, de migrants ayant fait une demande de régularisation médicale ayant été déclarée recevable…

De manière générale, toute personne en séjour touristique doit s’adresser à l’assurance maladie à laquelle elle est affiliée dans son pays d’origine et/ou à son organisme d’assurance voyage. L’obtention d’un visa est d’ailleurs conditionnée par la détention d’une assurance. Si la personne n’a pas les moyens suffisants pour subvenir à ses besoins, l’ambassade réclamera un engagement de prise en charge a minima pour la durée du visa. Notons que l’exigence de la prise en charge est d’une durée de 2 ans pour un garant se trouvant en Belgique².

Si la personne ne remplit pas ces conditions et qu’elle n’est pas en mesure de prendre en charge ses soins de santé, elle peut faire appel au CPAS de son lieu de résidence. Dans la pratique, seules des exceptions pourront éventuellement être faites dans le cas de problèmes inattendus et graves.

Les difficultés rencontrées par ces personnes sont majoritairement liées au manque d’information sur leurs droits, à la méconnaissance du système de prestataires de soins au forfait et à des difficultés de ressources ou d’accès aux médicaments.

À la fin de la durée légale du séjour, la personne qui n’a pas quitté le territoire passera dans la catégorie sans séjour légal et pourra alors prétendre (moyennant le respect des conditions) à l’aide décrite plus haut. Le CPAS vérifiera toutefois au préalable l’existence éventuelle d’une assurance maladie privée ou d’un garant responsable du paiement des soins médicaux.

Une personne qui, pour des raisons médicales, ne peut retourner dans son pays d’origine ou dans un pays tiers où il a un séjour légal, peut introduire une demande d’autorisation de séjour sur base de sa situation médicale3. Si l’Office des étrangers déclare la demande recevable, cette personne pourra bénéficier d’un document de séjour temporaire. Ce dernier ne lui donnera pas accès à l’assurance maladie mais à une aide financière et médicale de la part du CPAS de la commune où elle réside.

Dans la pratique, nous constatons cependant que l’obtention de cette aide ne va pas sans difficulté. Outre les délais parfois trop longs avant la recevabilité du 9ter, allongeant d’autant la période sans prise en charge, il faut noter que la procédure est à la fois complexe et inégalitaire: difficulté de vérifier l’existence d’une assurance dans le pays d’origine; conditions de remboursement variables selon le pays; conditions d’obtention d’un visa différentes d’un pays à l’autre; impossibilité pour les patients de faire l’avance des frais ou encore impossibilité pour les garants, parfois mal informés, d’assurer leur engagement.

Les migrants ayant acquis un droit de séjour de plus de 3 mois en Belgique ou ayant acquis la nationalité belge

Quelle que soit l’origine du droit au séjour – asile, regroupement familial, régularisation –, ces personnes peuvent toutes prétendre à l’assurance maladie. Si la personne n’est pas en mesure de faire face à ses frais, elle peut s’adresser à son organisme assureur afin d’évaluer les possibilités de bénéficier d’une intervention majorée ou s’adresser aux maisons médicales ou à des médecins privés appliquant le tiers payant ou le forfait. Si ces solutions ne sont pas suffisantes, la personne peut faire une demande auprès de son CPAS de résidence qui évaluera les possibilités d’aide en la matière.

Les difficultés rencontrées par ces personnes sont majoritairement liées au manque d’information sur leurs droits, à la méconnaissance du système de prestataires de soins au forfait et à des difficultés de ressources ou d’accès aux médicaments.

Un système complexe qui mène à des exclusions

Les différents systèmes d’accès aux soins pour les personnes en dehors de l’assurance sont donc extrêmement complexes et administrativement lourdes. Les prestataires de soins et les bénéficiaires sont très peu armés pour faire face à cette complexité et cela mène à de l’exclusion, des ruptures dans les prises en charge et des prestataires de soins poussés à faire des consultations gratuites.

Il nous semble paradoxal d’imposer un système d’ouverture et d’accès aux soins d’une telle complexité à une population par ailleurs déjà confrontée à d’importantes difficultés endogènes (langue, parcours, culture, vulnérabilités multiples).
La Belgique a probablement l’un des meilleurs systèmes de soins pour ses résidents en ordre d’assurabilité… pour les autres, il est loin d’être performant, équitable et accessible.

Que dit le droit international?


  1. Organisation mondiale de la santé, 1946: “La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”.
  2. Déclaration universelle des droits de l’Homme 10/12/1948, article 25: “Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux.”
  3. HCDH, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 3/1/76, article 12: “[…] droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.”
  4. Constitution belge 17/02/1994, article 23: “Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. […] Ces droits comprennent notamment: […] 2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique.”
  5. Charte sociale européenne (révisée), 1966, article 11: ” Toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu’elle puisse atteindre.”
  6. Convention internationale sur l’élimination de toutes  les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 : “Les États parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants: iv) Droit à la santé, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services sociaux.”
  7. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 18/12/2000, article 35: “Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union.”
  8. Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, 18 décembre 1990, article 28: “Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont le droit de recevoir tous les soins médicaux qui sont nécessaires d’urgence pour préserver leur vie ou éviter un dommage irréparable à leur santé, sur la base de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État en cause. De tels soins médicaux d’urgence ne leur sont pas refusés en raison d’une quelconque irrégularité en matière de séjour ou d’emploi.”

Notes:

1   Observatoire européen de l’accès aux soins, Médecins du Monde, sept 2009 : “L’accès aux soins des personnes sans autorisation de séjour dans 11 pays d’Europe”.
2    Circulaire du 9/9/1998 relative à l’engagement de prise en charge visé à l’article 3bis de la loi du 15/12/1980.
3   Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, modifications 2007, article 9ter.
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