Les modalités de l’accueil des demandeurs d’asile ont considérablement évolué en cinq décennies. À chaque étape, des profonds bouleversements et une constante: une crise qui perdure, sans solution en vue… Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique accueille chaque année du monde entier des personnes qui fuient leur pays, par crainte de persécution ou en raison de la situation politique difficile qui prévaut chez elles. Dans l’organisation de cet accueil, les ONG ont toujours été un acteur de premier plan. Mais aujourd’hui, on ne parle plus que de centres d’accueil débordés, de demandeurs d’asile à la rue, des levées de bouclier de riverains réticents à voir s’installer certains d’entre eux dans leur village…
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, peu après l’entrée en vigueur de la Convention de Genève, la Belgique fait partie des premiers pays au monde à accueillir sur son territoire des demandeurs d’asile. Beaucoup d’entre eux fuient alors l’Europe de l’Est, notamment la Hongrie après l’intervention soviétique en 1956. C’est une époque où la majorité des demandeurs d’asile arrivent par “contingents”. En coordination avec les Nations unies, la Belgique, comme d’autres États, accueille des demandeurs d’asile par petits groupes, ce qu’on appelle aujourd’hui la “réinstallation”.
À l’époque, il n’existe aucune “politique d’accueil” proprement dite et aucun centre d’hébergement géré par les autorités. L’accueil des réfugiés est donc assuré par quelques ONG actives dans l’aide aux plus démunis. Différentes maisons d’accueil, comme par exemple le “Home Dominique Pire”, de Braine-le-Comte, de l’association “Aide aux personnes déplacées”, sont régulièrement sollicitées pour offrir un hébergement temporaire à ces personnes. À l’époque, pas de CGRA non plus pour statuer sur les demandes d’asile. C’est le Haut commissariat des Nations unies (HCR) qui est chargé du traitement des dossiers. En comparaison avec aujourd’hui, c’est une autre époque.
Une fois la procédure terminée, il n’était pas facile de retourner dans la vie active. Surtout quand l’accueil s’est limité au gîte et au couvert.
Le nombre de personnes qui demandent alors l’asile n’a rien à voir avec ce qui se passe de nos jours. De plus, le contexte économique des “Trente glorieuses”, marqué par une forte demande de main-d’œuvre dans l’industrie et les charbonnages, a amené en Belgique plusieurs vagues de migrants économiques venus par contingents, notamment, d’abord, d’Italie et d’Espagne, puis du Maroc et de Turquie. Il n’est donc guère question dans le discours politique de “juguler les flux migratoires” et le “sentiment d’invasion” n’est pas encore très présent dans la population.
Mais tout change à ce sujet en 1973. Le choc pétrolier amène un ralentissement économique. Et, à l’instar d’autres pays européens, la Belgique décide de fermer ses frontières à l’immigration économique.
Ce tournant dans la politique migratoire européenne, va progressivement affecter l’asile. D’une part, parce que le nombre de candidats réfugiés va augmenter. D’autre part, parce que cette volonté de restreindre l’immigration va modifier la vision du politique et de la population quant aux demandeurs d’asile.
La volonté étant désormais de restreindre l’accès au territoire de personnes de nationalité étrangère, une certaine confusion s’installe avec les demandeurs d’asile à l’égard desquels un climat de suspicion va progressivement s’installer.
Restriction
En 1982, cinq communes confrontées à un afflux de demandeurs d’asile sur leur territoire refusent de les inscrire au registre de la population. Un arrêté royal de 1985 les autorisera même à procéder à ces refus. “Les autorités pensaient alors qu’un mauvais accueil allait décourager les demandeurs d’asile” se souvient Marie-Claire Leroux, du Centre social protestant.
Nous sommes au début des années 80. Les différents homes et maisons d’accueil des ONG sont toujours sollicités pour offrir un hébergement temporaire aux demandeurs d’asile. Mais le manque de places se fait sentir et, déjà à ce moment, on connaît les mêmes situations chaotiques qu’aujourd’hui. Des réfugiés sont à la rue et les associations actives au sein du Comité belge pour l’aide aux réfugiés (CBAR) interpellent les pouvoirs publics pour qu’ils remédient d’urgence à ce problème. Quelques années plus tard, l’État va donc être amené à prendre part à l’accueil des demandeurs d’asile avec la création des premiers centres communautaires.Fin 85, l’État met à disposition en urgence une caserne à Heverlee, ainsi qu’un home à Westende. On commence également à parler du fameux “plan de répartition”, dont l’idée est de désigner à chaque demandeur d’asile un CPAS, chargé de lui fournir une aide financière, sans obligation de résidence.
Mais le grand tournant dans Ces séjours de longue durée en centre ont posé de nombreux problèmes de perte d’autonomie à beaucoup de résidents. Une fois la procédure terminée, il n’était pas facile de retourner dans la vie active.l’histoire de l’accueil en Belgique arrive en 1986, avec l’ouverture du Petit-Château. L’État ouvre ainsi son premier centre d’accueil collectif pour s’efforcer de répondre au manque criant de places. Petit à petit, d’autres centres vont ouvrir. Notamment Florennes, autre solution d’urgence qui va devenir définitive. En parallèle, on met aussi en place les premiers centres fermés. Le HCR perd par ailleurs la compétence dans le traitement des dossiers de demande d’asile. Le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA) est créé ainsi que la Commission permanente de recours des réfugiés. Mais la multiplication des places d’accueil, gérées désormais par les pouvoirs publics, ne suffit pas à résoudre la crise. En 1993, on trouve à nouveau des gens à la rue.
Longues procédures
En 1995, le gouvernement met en place le plan de répartition. Le gouvernement modifie également la procédure d’asile et la politique d’accueil. Cette année-là, les demandeurs d’asile dont le recours est pendant au Conseil d’État perdent carrément le droit à l’accueil. Ce droit sera finalement rétabli trois ans plus tard, avec pour conséquence un autre aspect de la crise: le temps passé dans les centres communautaires.
Autrefois, il n’était en effet pas rare de passer 6, 7, 8, 9 voire 10 ans dans des centres d’accueil communautaires. Les procédures étaient tellement longues que de nombreux demandeurs d’asile ont été régularisés sur base de ce critère.
Ces séjours de longue durée en centre ont posé de nombreux problèmes de perte d’autonomie à beaucoup de résidents. Une fois la procédure terminée, il n’était pas facile de retourner dans la vie active. Surtout quand l’accueil s’est limité au gîte et au couvert et que l’accompagnement social faisait défaut.
En 2002, l’État crée FEDASIL, agence fédérale chargée de l’accueil et de l’orientation des demandeurs d’asile. Cinq ans plus tard, c’est la loi “Accueil” qui limite désormais à quatre mois le séjour des demandeurs dans les centres communautaires. Après cette période, la possibilité est offerte de bifurquer vers un hébergement de type individuel. Un grand pas en avant dans les conditions d’accueil, qui limite les problèmes de perte d’autonomie et facilite l’insertion dans la société, mais qui est loin de constituer une solution à la crise.
Ces deux dernières années, les problèmes de manque de places se sont à nouveau invités dans l’actualité. Les centres communautaires sont saturés, les hébergements individuels aussi, où les demandeurs d’asile se retrouvent parfois bien plus rapidement qu’après le délai de 4 mois prévu par la loi. L’État tente vaille que vaille d’ouvrir de nouveaux centres partout dans le pays. Des solutions temporaires qui ont toutes les chances de devenir définitives dans les prochaines années…