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Carte blanche- Familles roms à la rue le 31 mars: retour à la case départ?

Une poignée de familles roms slovaques ont fui il y a plusieurs mois la ville de Kosice où se multiplient les discriminations, la pauvreté et les violences racistes à l’encontre des Roms. Non accueillies par FEDASIL, ces familles se sont retrouvées à la rue. Elles ont erré entre la Gare du Nord, le square Maximilien, et de multiples lieux pour aboutir provisoirement dans des locaux réquisitionnés par la commune d’Ixelles rue de la Concorde où elles ont passé l’hiver. À Schaerbeek, le même scénario s’est joué avec une dizaine d’autres familles bosniaques, roumaines et slovaques, finalement hébergées par la commune et suivies de près par le CPAS. Mais ce 31 mars, tout s’arrête… Ces familles vont retourner à la case départ, sûrement à la Gare du Nord.

Juin 2011. Une poignée de familles slovaques fuient la ville de Kosice, les discriminations, la pauvreté et les violences racistes qui s’y multiplient contre les Roms, à 1500 km de Bruxelles. Sans ressources, avec de nombreux enfants, elles demandent désespérément l’asile à la Belgique, seul pays européen où sont examinées les demandes de protection de ressortissants européens.

Les citoyens européens demandeurs d’asile n’ont pas droit à l’accueil. Fedasil n’a donc pas accueilli ces familles qui se sont retrouvées à la rue. Elles ont erré entre la Gare du Nord, le square Maximilien, le squat du Polygone à Ixelles, l’ULB, l’ancien réfectoire du CPAS d’Etterbeek, le Polygone à nouveau, pour aboutir provisoirement dans des locaux réquisitionnés par la commune d’Ixelles rue de la Concorde, où elles ont passé l’hiver.

Après quelques semaines, elles ont été déboutées de l’asile parce que leur récit a été jugé peu convaincant. Ce qu’elles ont subi en Slovaquie ressemble pourtant bien à des persécutions : fort rejet social, impossibilité d’accéder aux services de base (emploi, scolarisation…) à cause d’une discrimination persistante, violences racistes jusqu’au meurtre (le père d’une de ces familles a été tué parce qu’il était Rom, sans que ses meurtriers soient inquiétés)…

Ces familles n’ont pas pu bénéficier non plus du statut de séjour en tant qu’Européen. Pour s’installer en Belgique – comme ailleurs en Europe – lorsque l’on est ressortissant européen, il faut remplir des conditions de ressources suffisantes, avoir un emploi ou être en bonne voie d’en trouver un, ou encore être étudiant. Ce qui est loin d’être le cas. Discriminées en Slovaquie, ces personnes ont eu un accès très limité à l’éducation et ont survécu grâce à de petits boulots non qualifiés. Comment pourraient-elles s’insérer sur le marché du travail belge, sans en parler les langues, sans domicile, ni moyens de subsistance ? La solution est-elle qu’elles rentrent dans leur pays d’origine ? Elles en reviendront vite, car les conditions y sont pires que celles de la vie dans la rue en Belgique.

Pendant les quelques mois où elles ont séjourné à Ixelles, ces familles ont été suivies : enfants scolarisés, inscription comme demandeurs d’emploi, cours de français, démarches pour trouver un travail et un logement avec l’aide d’interprètes et parfois de médiateurs… Á quoi cela aura-t-il servi ?

À Schaerbeek, le même scénario s’est joué avec une dizaine d’autres familles bosniaques, roumaines et slovaques, finalement hébergées par la commune et suivies de près par le CPAS… Dans quel but ?

Le 31 mars, tout s’arrêtera, à Ixelles comme à Schaerbeek. Ces familles vont retourner à la case départ, sûrement à la Gare du Nord. Sans ressources, sans toit, sans statut. Et elles trouveront la case occupée par d’autres familles dans la même situation. Combien de fois les communes vont-elles encore accepter de poser des actes humanitaires dont l’issue annoncée est de renvoyer des enfants à la rue?

La situation des Roms pose un double questionnement : celui de la discrimination et celui de l’extrême pauvreté, sans doute étroitement liés dans leur cas, mais qui ne concerne malheureusement pas qu’eux. Des questions qui doivent être traitées en profondeur, tant au niveau national qu’européen, mais qui ne le sont pas. En tout cas pas avec l’acuité et l’urgence qui s’imposent.

Il est temps de prendre la mesure de la paupérisation galopante au sein de l’Europe et de l’absence de mécanismes sérieux qui permettraient de la contrer. En Belgique, les Européens de l’Est sont déjà discrètement rejoints par des Espagnols à la recherche désespérée d’un travail. Demain, ce seront les Grecs qui fuiront des plans d’austérité toujours plus drastiques et chercheront en Belgique ou ailleurs à sortir de la misère. Dans ce contexte, les Roms, avec leur pauvreté tellement visible et évidente, pourraient être les “cache-misère d’une Europe sociale en lambeaux”1 .

Une Europe qui ne reconnait pas non plus qu’en son sein, certains citoyens subissent des discriminations insupportables, qu’ils sont chassés, persécutés, voire tués en raison de leur appartenance ethnique. Si la Commission européenne et le Conseil de l’Europe ont publié nombre de rapports sur les discriminations et les violences que subissent les Roms dans certains pays d’Europe centrale et orientale, les États membres continuent d’entretenir l’illusion d’une Europe sûre dans laquelle le droit d’asile n’a pas lieu d’être pour ses ressortissants.

La Commission européenne a invité en avril 2011 chaque État membre à concevoir des “Stratégies nationales pour l’inclusion des Roms”. Si l’intention est certainement positive, ces stratégies ne s’attaquent pas à ce que nous révèle la situation de ces familles slovaques en Belgique. Parce que le problème fondamental, voire fondateur – la discrimination – n’est pas au cœur de cette politique ; parce que la question de la demande d’asile intra-européenne n’y est pas abordée ; parce que la question de la grande pauvreté européenne, transnationale, dont les Roms sont les victimes les plus visibles, n’est pas véritablement posée. Parce que focaliser l’attention sur les Roms risque de renforcer les préjugés. Et parce que les États membres d’Europe de l’Ouest, dans un souci permanent de “gestion des flux” et “d’éviter un appel d’air”, entretiennent l’idée que ceux qui viennent d’ailleurs pour assurer leur sécurité, leur subsistance et celle de leur famille sont des profiteurs de l’aide sociale et/ou de faux demandeurs d’asile.

Les préjugés envers les Roms sont prégnants, il en faut peu pour alimenter le rejet. Le 31 mars, les familles slovaques d’Ixelles et de Schaerbeek seront renvoyées à la rue. Elles rejoindront d’autres familles roms dans l’errance et le dénuement affichés, et seront une fois de plus la cible de toutes les stigmatisations, notamment sécuritaires et sanitaires. Le scénario est connu. Il se répétera sans relâche, tant que de vraies mesures politiques et sociales ne sont pas prises (et mises en oeuvre) pour lutter contre les discriminations et la pauvreté, en Belgique et dans toute l’Europe. Et tant que ces familles, aussi visibles que peu nombreuses, ne seront pas durablement accueillies et accompagnées.

Fred Mawet, Directrice du CIRÉ
Caroline Intrand, Experte politique au CIRÉ

Cette carte blanche est parue sur LESOIR.BE le mercredi 28 mars 2012

1: Voir l’article de Martin Olivera dans migrations|magazine n°6, “Roms, Tsiganes, Gitans… les malentendus”, hiver 2012

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